El Watan (Algeria)

Mugabe lâche le pouvoir

Sous la pression de l’armée et de la classe politique, dont son propre parti, le plus vieux chef d’Etat au monde en exercice, Robert Mugabe, a quitté le pouvoir hier au Zimbabwe.

- Hacen Ouali

C’est la chute finale. La fin sans gloire d’un autocrate. Il conquiert le pouvoir en héros libérateur admiré par tout un peuple, il le quitte en despote honni. Après 37 ans de règne de fer et sans partage, Robert Mugabe a démissionn­é hier de son poste de président du Zimbabwe, au terme d’une semaine d’agitation politique à rebondisse­ments. Non pas par gaieté de coeur, mais contraint et forcé par les événements qui ont secoué Harare ces derniers jours. C’est un jour historique pour les Zimbabwéen­s, qui tournent ainsi la page des années de plomb marquées essentiell­ement par des violations massives des droits de l’homme et de misère sociale. Une nouvelle ère s’ouvre sous le ciel de l’ancienne Rhodésie. C’est le président de l’Assemblée nationale, Jacob Mundenla, qui fait lecture de la lettre de démission du vieux Mugabe (93 ans). «Moi, Robert Mugabe (…), remets formelleme­nt ma démission de la présidence de la République du Zimbabwe avec effet immédiat», rapporte la Télévision nationale, alors que l’Assemblée nationale étudie la procédure de destitutio­n. Une annonce qui a plongé la capitale Harare dans une liesse indescript­ible. Un moment historique longtemps désiré par la majorité du peuple que Mugabe voulait incarner de force.

Tout a commencé, il y a quelques jours, lorsque «le camarade Bob» — surnom du dictateur — a décidé de se séparer de son vice-président, Emmerson Mnangagwa, le 6 novembre. Un limogeage qui éveille les soupçons de l’état-major de l’armée dont Mnangagwa était proche. D’autant que la mise à l’écart du vice-président coïncide avec les ambitions de plus en plus assumées de la Première dame, Grace Mugabe, qui se place dans la course et se voit déjà l’héritière du «trône». Ses adversaire­s l’accusent d’être à l’origine du limogeage du vice-président, et de celui de la vice-présidente, Joice Mujuru en 2014. La déposition d’Emmerson Mnangagwa aurait été le geste de trop commis par le vieux despote, qui serait totalement passé sous le contrôle de sa femme. Un dernier acte qui va précipiter sa fin et le pousse vers la sortie, lui qui espérait célébrer son centième anniversai­re au pouvoir. Dans la foulée, l’armée intervient et écarte du pouvoir la garde rapprochée de vieux leader finissant, place sa femme ambitieuse en résidence surveillée, signant ainsi le début de la fin du «monarque» Mugabe. Mis en résidence surveillée dans un premier temps, l’ancien héros indépendan­tiste tente de résister et sollicite l’aide de son voisin Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud, avec qui il entretient d’excellents rapports. L’armée, qui évite de prendre le risque de passer par un coup d’Etat militaire, qui l’exposerait à de sérieuses pressions internatio­nales, agit en douceur et donne le temps au Président de «réfléchir». Dimanche soir, dans une allocution à la Télévision nationale, entouré de l’état-major de l’armée et de quelques membres de son gouverneme­nt, Robert Mugabe reconnaît «la gravité de la crise que traverse son pays», mais il n’annoncera pas sa démission pourtant attendue. C’était là son dernier baroud d’honneur. Ultime tentative de sauver son pouvoir. Mais il est déjà trop tard.

Lâché par son propre parti, son sort est définitive­ment scellé. Avec son départ du pouvoir, Robert Mugabe clôt une longue nuit dictatoria­le qui a entraîné tout un pays vers l’abîme et un peuple dans la souffrance. «Mugabe s’est maintenu au pouvoir en écrasant ses opposants, violant la justice, piétinant le droit à la propriété, réprimant la presse indépendan­te et truquant les élections», assure Martin Meredith, un de ses biographes. Pris dans l’ivresse de la victoire et l’aveuglemen­t du pouvoir, Robert Mugabe est passé de vaillant résistant à la colonisati­on à un des despotes les plus féroces du continent africain. Issu d’une famille paysanne de Harare, jeune étudiant dans une université sud-africaine, Robert est vite séduit par le mouvement marxiste révolution­naire et s’engage contre le régime ségrégatio­nniste de Rhodésie. Arrêté en 1964, il passe dix ans en prison, qui vont le radicalise­r. Et c’est à partir du Mozambique qu’il prend la tête de la lutte armée jusqu’à l’indépendan­ce de son pays, la Rhodésie rebaptisée Zimbabwe, et prend le pouvoir, en tant que Premier ministre, qu’il partage avec son compagnon de lutte Joshua Nkomo, nommé alors ministre de l’Intérieur. Si au début Robert Mugabe est salué par la communauté internatio­nale en raison de sa politique réconcilia­trice avec les Blancs, il inaugure son règne en réprimant ses anciens compagnons. Deux années seulement après l’indépendan­ce, il accuse Nkomo de complot, le limoge et ordonne une sanglante répression qui débouche sur la mort de 20 000 personnes. Sans que la communauté internatio­nale ne réagisse.

Dans un élan d’autoritari­sme, il révise la Constituti­on en 1987, et se proclame chef d’Etat avec l’option d’y rester à vie en écrasant tous ses opposants. Le plus emblématiq­ue est Morgan Tsvangirai, qui le devance au 1er tour de la présidenti­elle de 2008, poussé à renoncer après des violences commises contre ses partisans.

Défiant le poids de l’âge, Robert Mugabe refuse de céder. Il s’accroche au pouvoir aveuglémen­t, malgré sa santé déclinante. Ces dernières années l’homme paraissait affaibli, il s’endormait durant les sommets internatio­naux. Il est devenu l’homme qui incarne le despotisme jusqu’à l’absurde. Il aura été jusqu’au bout le contre-exemple de Nelson Mandela.

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Liesse dans les rues de la capitale Harare après l’annonce de la démission de Mugabe

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