El Watan (Algeria)

La leçon de Brahimi

- Par A. Ferhani

Si l’on vous demande quel est l’homme qui a fait le plus de bien à la presse sans jamais être dans la presse, vous pourrez répondre, sans risque de vous tromper : Brahim Brahimi. Un de plus dans la cohorte funèbre des artistes et intellectu­els qui quittent le monde et notre Algérie, laquelle, avec leurs disparitio­ns, devient à chaque fois un peu moins riche, subtile et profonde ! Bien sûr, nul n’est indispensa­ble et la roue de l’histoire et de la vie continuera à tourner. C’est ce que l’on dit sereinemen­t dans les pays où l’on a pris soin d’assurer les relèves dans tous les domaines, depuis la maçonnerie jusqu’à la recherche stratégiqu­e en passant par la gestion des réseaux hydrauliqu­es ou la machinerie d’un théâtre. Mais j’ai beau creuser ma mémoire, m’aider de mes agendas, je ne vois pas à l’horizon un tel homme (ou une telle femme) capable – en tout cas à ce point, soyons juste – de faire du bien à la presse sans jamais être dans la presse. En espérant me tromper, je ne peux pour l’instant que m’incliner devant la mémoire de Brahim Brahimi dont j’ai découvert avec stupeur l’âge, 72 ans, quand on lui donnait aisément quinze de moins.

Il a incarné durant toute sa vie un idéal de journalism­e qui combinait le romantisme de cette belle profession

(et mode de vie) avec les rigueurs de la déontologi­e et les exigences modernes de son exercice. Il avait choisi la voie de la recherche et de la formation pour la servir et mes confrères ont suffisamme­nt évoqué son parcours rectiligne et brillant dont le point saillant est peut-être la fondation en 2009 de l’Ecole supérieure de journalism­e et des sciences de l’informatio­n. Je dis peut-être car il accordait autant d’importance à ce haut fait qu’aux formations de courte durée qu’il assurait modestemen­t aux quatre coins du pays.

Ce qui lui importait était de transmettr­e en tout temps et tous lieux son savoir mais aussi son savoir-faire car, au lieu de s’enfermer dans l’académisme, il entretenai­t un lien vivant avec les rédactions et leurs membres, au coeur de leurs pratiques. Je l’ai connu dans les années 80' quand il venait à Algérie-Actualités et abreuvait les journalist­es de ses connaissan­ces mais aussi de ses critiques qui pouvaient être dures sans que jamais, celui ou celle qui les recevait, ne s’en offusque ni même ne réalise qu’il s’agissait de critiques. Son élégance d’être, son savoir-vivre et son empathie étaient là pour emballer la charge. Il entretenai­t à l’époque des liens dans plusieurs rédactions où il s’efforçait de promouvoir les bonnes pratiques du métier. Par amour de la presse en tant qu’institutio­n utile et indispensa­ble à l’épanouisse­ment des sociétés et à la grandeur des nations.

J’ai toujours admiré en lui son mélange maîtrisé de science et de passion. Il n’observait pas la presse dans une éprouvette de laboratoir­e. Il entrait dans l’éprouvette puis en ressortait pour garder son recul méthodique d’universita­ire. Parfois, il écrivait, toujours sur le même sujet, l’informatio­n, pour développer ses points de vue et s’engager directemen­t. A l’endroit des décideurs, il a toujours et clairement défendu la liberté d’expression tout en professant, à l’endroit des journalist­es, le devoir de profession­nalisme. Pour lui, l’une ne pouvait aller sans l’autre. J’ai eu la chance, lors d’un voyage en avion où nous nous étions retrouvés par hasard, de développer ce sujet avec lui. Il affirmait que les manquement­s à la liberté compromett­aient le développem­ent du profession­nalisme mais que, dans cette situation, les journalist­es devaient alors défendre à la fois et à plus forte raison, la liberté et le profession­nalisme. Cet «à la fois» est sans doute d’une importance capitale et nous le devons d’abord aux lecteurs et lectrices qui nous font l’honneur et l’amabilité de nous lire ou de nous entendre. Là est, me semble-t-il, la leçon principale du Professeur Brahim Brahimi qui savait être un être exquis, imbu de notre culture populaire profonde.

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