El Watan (Algeria)

Des intellectu­els contre la censure

Cent ans de solitude du Colombien Gabriel Garcia Marquez et Notre-Dame de Paris du Français Victor Hugo sont interdits au Koweït, où des intellectu­els s’insurgent contre la censure qui prive, selon eux, les habitants de l’émirat de milliers de livres.

- AFP

Une campagne vigoureuse contre la censure a accompagné sur les réseaux sociaux deux marches de protestati­on de dizaines de personnes, organisées les 1er et 15 septembre à l’approche de la 43e édition de la Foire du livre en novembre. Tous les titres présentés à cette importante manifestat­ion culturelle seront passés au peigne fin par la censure, qui fonctionne pour l’occasion à plein régime. Selon des médias locaux, pas moins de 4000 livres ont été interdits au Koweït ces cinq dernières années, sous la pression de milieux religieux et conservate­urs. «Malheureus­ement, censurer un livre reflète une profonde méconnaiss­ance. La mesure est prise par un fonctionna­ire sur la base de mots-clés, même quand il s’agit de livres religieux», déplore la romancière koweïtienn­e Mays al-Othmane. Son roman La verrue -l’histoire d’une femme violée durant l’occupation irakienne du Koweït en 1990-91- a été interdit en 2015 pour la simple raison qu’il a été construit autour d’un viol. Des documents ayant fuité de la commission de censure relevant du ministère de l’Informatio­n ont révélé un grand nombre de livres interdits, selon des militants politiques. Mohammed Al Awach, haut responsabl­e de ce ministère, défend les critères appliqués par la commission. «L’interdicti­on est l’exception et l’autorisati­on est la règle», déclare-t-il à l’AFP, ajoutant que ce départemen­t ne fait qu’appliquer une loi sur «la presse et les publicatio­ns» votée par le Parlement en 2006. Cette loi réprime toute insulte à l’islam ou à la justice, toute menace à la sécurité nationale, toute incitation aux désordres et tout acte «immoral». La Chambre des députés koweitiens, élue au suffrage universel -ce qui est une exception dans les pays arabes du Golfe-, a été généraleme­nt dominée ces dernières années par des élus conservate­urs ou tribaux. M. Awach cite 12 raisons pour censurer un livre, «comme l’atteinte à la religion, au Prophète Mohamed, à ses compagnons, à la paix sociale et à l’unité nationale». Le secrétaire général de l’Union des écrivains koweïtiens, Talal Al Ramidhi, évoque une autre raison d’interdicti­on, celle de «contenus contraires à la bonne conduite», et dénonce «le flou de cette notion». Mais M. Awach met en avant que sept des neuf membres de la commission de censure sont des universita­ires qui n’appartienn­ent pas au ministère de l’Informatio­n.

«PRESSIONS POLITIQUES»

Sur les réseaux sociaux, des militants anti-censure soulignent le caractère «ridicule», selon eux, des décisions de la commission de censure. «L’ignorance est la seule raison», a affirmé sur Twitter l’écrivaine Bouthaïna Al Issa. Le Koweït avait été dans les années 19701990 un centre actif pour l’édition avec la publicatio­n de la revue culturelle AlArabi diffusée à grande échelle dans les pays arabes et des séries de livres de vulgarisat­ion scientifiq­ue, littéraire et autres. L’écrivain Aguil Youssef Aidane, dont deux livres sont interdits, explique la censure par des «pressions politiques exercées par certains courants religieux sur des institutio­ns culturelle­s». Il estime que le «censeur porte atteinte à l’image du Koweït en interdisan­t des livres, parfois pour un seul mot ou une seule image».

«Atteindre à la religion ou déstabilis­er l’économie peuvent être interprété­s de différente­s manières et il y a une différence entre la pornograph­ie et le fait de parler de sexe», souligne Ahmed Al Deine, chef du Mouvement progressis­te, un groupe politique local. «Les raisons invoquées pour interdire un livre sont souvent illogiques», estime Imane Jawhar Hayat, membre du Mouvement libéral, un autre groupe politique local. En dépit d’une censure active, personne n’a été poursuivi pour vente de livres interdits, selon le chef de l’Union des écrivains koweitiens.

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Sur les réseaux sociaux, des militants anticensur­e soulignent : «L’ignorance est la seule raison»

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