«Le cancer est au coeur de nos vies. On y pense tous les jours»
Rien n’est plus précieux pour un parent que son enfant. Lorsque celui-ci tombe gravement malade, c’est tout un univers et une vie rêvée qui s’effondrent. Jessica Ward nous raconte la douloureuse épreuve qu’elle traverse depuis trois ans.
«Je n’oublierai jamais ce moment. C’était un séisme qui s’ouvrait sous mes pieds. Mon corps s’est mis à trembler sans que je puisse le contrôler. C’était l’inimaginable qui devenait réalité.»
La vie de Jessica Ward a basculé en juillet 2014. Cet été-là, Jérémie, son unique enfant qui n’avait pas encore 3 ans a été diagnostiqué atteint d’un cancer du cerveau de stade 4, c’est-à-dire un cancer agressif avec de fortes chances de récidive.
Dans le jargon médical, les oncologues appellent cela un medulloblastoma. À l’époque, Jessica et son conjoint ne connaissaient rien à ce terme ni à cette maladie. Ils sont devenus leur quotidien.
Devant le médecin qui leur a annoncé la cruelle réalité, les parents ne se sont pas autorisés à s’apitoyer sur leur sort.
«C’était impensable ce qui nous arrivait. Mais on se devait de rester allumé pour comprendre les traitements dont on nous parlait, les risques encourus… Plus on savait, plus on se sentait en contrôle. On était à 14h de route de chez nous (le garçon avait été transporté en urgence à l’hôpital de Québec, NDLR). On s’est tout de suite mis en mode action. On n’avait pas le temps de pleurer.»
Dès lors, Jessica n’a plus eu qu’une seule préoccupation: la santé de son garçon. Et elle l’obsède encore, car malheureusement le petit bonhomme n’est pas tiré d’affaire. Les allersretours entre le domicile familial à Bertrand, près de Caraquet, et les hôpitaux n’ont pas cessé.
L’enfant a suivi de lourds traitements: une opération au cerveau à Montréal pour extraire une tumeur maligne de la grosseur d’une nectarine dans le cervelet, d’intensives séances de radiothérapie et de chimiothérapie et trois autogreffes de cellules souches.
Il faut lui administrer plus d’une dizaine de médicaments par jour. Les conséquences sont considérables sur son organisme. Jérémie a un système immunitaire affaibli – une situation qui contraint ses parents à faire tout le temps attention.
Il souffre d’un dysfonctionnement de la glande thyroïde, d’une ostéoporose précoce et présente un début de cataracte. Son équilibre est hésitant quand il se déplace, son ouïe légèrement altérée. Il est nourri par gavage à l’aide d’un tuyau relié directement à son estomac. Et il n’a pas de cheveux.
«Les médecins nous ont expliqué qu’il n’ira probablement jamais au collège ou à l’université. Il n’en aura pas les capacités intellectuelles. Ses hormones de croissance ne se développent pas normalement.»
Difficile dans ces conditions de faire abstraction, ne serait-ce qu’une minute de la maladie.
«Le cancer est au coeur de nos vies. On y pense tous les jours.»
Jessica Ward était une maman organisée qui aimait tout planifier. Elle a appris à vivre au jour le jour et à profiter de chaque instant présent.
«Le sentiment d’injustice m’habitera toujours. Je me demanderai toujours pourquoi ça lui est arrivé.»
L’injustice s’est manifestée à nouveau en décembre 2015 alors que les traitements avaient été arrêtés en mars par mesure protocolaire.
En ce temps de l’année d’ordinaire si festif pour les familles, les parents du garçonnet ont dû affronter une nouvelle mesquinerie du destin: le malade qu’on espérait guéri a fait une rechute.
«Ç’a été un choc. On ne l’a pas vu venir parce qu’il n’était pas symptomatique.»
Les soins et les examens réguliers se poursuivent. Depuis un an et demi, Jérémie suit un traitement de deuxième ligne auquel il semble bien réagir. Être parent d’un enfant cancéreux, c’est apprendre à faire des deuils, souligne notre interlocutrice.
«On a dû réajuster nos attentes, accepter qu’il n’aura pas une vie scolaire normale, accepter de le voir grandir différemment par rapport aux autres, accepter de voir les enfants des autres progresser et réussir.»
Cette épreuve a découragé le couple d’avoir un deuxième enfant.
«On a perdu confiance en la vie. On n’a pas l’énergie suffisante pour prendre le risque que ça se reproduise. Même si on sait que la maladie de notre fils a été causée par des cellules anarchiques, il y a forcément un sentiment de culpabilité.»
Jessica Ward ne sera jamais grand-mère; Jérémie est devenu stérile.
«Je m’en fiche, je veux juste être mère le plus longtemps possible. J’ai mis ma vie professionnelle de côté pour m’occuper à temps plein de lui, mais je ne le vis pas comme un sacrifice. Ma place est auprès de mon fils.»
Face à l’adversité, Jessica Ward et son conjoint s’efforcent de ne pas flancher.
«On essaye de rester positifs, pour Jérémie. C’est lui qui nous donne la force de nous battre. Il aime la vie, il est enthousiaste, il ne se lamente jamais. Il a une belle personnalité», s’émerveille la maman au regard soudain lumineux.
Les parents se raccrochent aux petits bonheurs de l’existence: un câlin impromptu, un fou rire volé entre deux rendez-vous à l’hôpital, une imitation improvisée du chant du coq le matin au réveil. Car à leurs yeux, un seul sourire de leur garçon vaut tout l’or du monde.