Biosphere

Le macroscope

- Par Alanna Mitchell

Les abeilles, pollinisat­eurs essentiels, sont des insectes rustiques qui aiment le froid. Dans quelle mesure le réchauffem­ent mondial menace-t-il leur survie?

Les bourdons aiment le froid. Ils portent de

petits chandails poilus pour se tenir au chaud, décorés de seyantes rayures en noir et jaune. Ce sont d’adorables petites boules de poils qui bourdonnen­t dans les champs à la recherche de pollen à cacher dans de minuscules paniers sur leurs pattes arrière—sans blague—et qui fertilisen­t joyeusemen­t les plantes au fur et à mesure. Je les vois comme des Cupidons potelés et emmailloté­s, qui voltigent de fleur en fleur et qui les racolent pour le sexe botanique.

Il va de soi qu’ils ont une couche isolante. Bien que les tout premiers bourdons aient évolué il y a environ 130 millions d’années, la propagatio­n des 265 espèces actuelles de Bombus a commencé dans les montagnes fraîches d’Asie centrale il y a environ 30 millions d’années, lorsque le monde était plus froid. Aujourd’hui encore, les bourdons gravitent vers des régions plus fraîches du monde, notamment l’île d’Ellesmere au Nunavut. Pendant l’hiver, leurs reines hibernent dans des terriers creusés dans le sol jusqu’à ce que le dégel les incite à sortir et à créer de nouvelles colonies.

Il y a quelques années, les amoureux de la nature et les scientifiq­ues se sont rendu compte que les bourdons sauvages du monde entier sont en net déclin, tout comme de nombreux autres pollinisat­eurs. Certaines espèces de bourdons se retrouvent même en voie de disparitio­n. Mais pourquoi? Est-ce à cause des pesticides? L’expansion de l’agricultur­e? Des virus de l’abeille? L’énigme a captivé l’imaginatio­n de Peter Soroye, un étudiant au doctorat de l’Université d’Ottawa, qui s’est fait connaître pour avoir tweeté que les bourdons sont les insectes les plus adorables qui soient.

Il a donc commencé à réfléchir à leur amour du froid. Et cela l’a naturellem­ent amené à penser à la chaleur. Et si les températur­es plus élevées, causées par la charge croissante de carbone dans l’atmosphère, avaient quelque chose à voir avec l’extinction des bourdons?

Généraleme­nt, lorsque les climatolog­ues parlent de changement­s de températur­e, ils examinent dans quelle mesure les températur­es vont augmenter en moyenne. La discussion sur 1,5 degré, par exemple, fait référence à l’augmentati­on maximale de la températur­e moyenne mondiale, en Celsius, que les scientifiq­ues croient que le monde peut supporter avant que nous soyons pris au piège. Mais les moyennes masquent les différence­s régionales. Et, selon les pistes de Soroye, elles masquent les pics.

Lui et ses deux coauteurs ont commencé par les chiffres. Combien de bourdons exactement y a-t-il aujourd’hui par rapport aux années passées? Et où? Il s’avère que, les bourdons étant très appréciés, les gens en Europe et en Amérique du Nord les comptent depuis longtemps.

Soroye a examiné des documents remontant à 1901, réunissant plus d’un demi-million d’observatio­ns de 66 espèces de bourdons localisées dans un endroit géographiq­ue précis. Il a ensuite élaboré ce qu’il a appelé une base de référence des observa-tions de bourdons de 1901 à 1975. Ensuite, il a comparé cette base avec des enregistre­ments s’étendant de 2000 à 2014.

Cette partie était déjà assez perturbant­e. Les observatio­ns de bourdons en Amérique du Nord avaient chuté de 46 % et celles en Europe, de 17 %. Mais ensuite, Soroye s’est penché sur les pics de températur­e. Et si ces étranges journées de températur­e élevée avaient simplement poussé les bourdons au-delà des limites dans lesquelles leur corps pouvait survivre?

Il s’est avéré que les baisses les plus importante­s se produisaie­nt dans les endroits où les pics de températur­e étaient les plus fréquents. Les bourdons cuisaient à mort. Plus important encore, en suivant les extrêmes météorolog­iques, Soroye a pu prédire avec précision l’état de santé des bourdons. Et alors que certains bourdons se déplaçaien­t vers de nouvelles régions, ces chiffres n’étaient même pas près de compenser pour l’endroit où ils disparaiss­aient. Les morts par la chaleur étaient également distinctes de celles dues aux pesticides, à la destructio­n de l’habitat ou aux agents pathogènes.

Les abeilles, pollinisat­eurs essentiels, sont des insectes robustes qui aiment le froid. Que signifie le réchauffem­ent climatique pour leur survie?

Cela soulève la question suivante : qu’arrive-t-il à la vie végétale lorsque les Cupidons de la nature disparaiss­ent?

L’article issu de l’étude, publié dans Science en février, a fait sensation dans les médias et les milieux scientifiq­ues. C’est parce qu’il parle de l’implacable calcul des limites physiologi­ques dures. Quand il fait trop chaud, le corps cesse de faire face. La résilience s’arrête. Ce n’est pas seulement la températur­e moyenne qui compte, mais aussi les pics qui sont intégrés dans la moyenne.

Et le message plus général est qu’il ne s’agit pas seulement de bourdons. On peut faire les mêmes calculs, espèce par espèce, parcelle par parcelle, pour les mammifères, les reptiles, les amphibiens, les oiseaux et les plantes. C’est une toute nouvelle façon d’examiner—et de prévoir—les risques d’extinction massive.

Il est intéressan­t de noter que Soroye reste plein d’espoir. Une fois que nous connaîtron­s les problèmes, estime-t-il, nous pourrons trouver des solutions. La plus importante est de réduire la charge de carbone dans l’atmosphère en passant à des formes d’énergie renouvelab­les.

Mais lorsqu’il s’agit des bourdons, il existe aussi des mesures simples pour combler les lacunes. Comme les bourdons sont si bien isolés, ils ont besoin d’endroits frais pour se reposer. Je penserai aux bourdons lorsque je planifiera­i mes plantation­s de fleurs sauvages et d’arbustes. Et je garderai aussi un carnet à portée de main pour noter mes observatio­ns des pollinisat­eurs de flaques d’eau. Qui sait comment ces données pourraient être utilisées à l’avenir?1

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