Économie
Les électeurs ont plusieurs raisons de bouder les libéraux dans les sondages. L’une d’elles est sans doute la frustration engendrée par les trois années d’austérité budgétaire imposée à tous, sauf aux médecins, de 2014 à 2016, suivies par la soudaine volte-face expansionniste de 2017 et 2018. Cette bascule budgétaire a pu donner une impression de racolage électoral plutôt que d’effort réel d’amélioration des services publics. Les faits accréditent cette perception des choses.
Le graphique ci-contre décrit l’évolution des impôts, taxes et tarifs ainsi que des dépenses dans les cinq grandes missions gouvernementales (santé, éducation, famille, économie et gouverne) de 2014 à 2018. On voit que, dès 2015, les impôts, taxes et tarifs avaient grimpé de 3 milliards de dollars au-dessus du niveau qu’ils auraient atteint s’ils avaient conservé le même poids dans l’économie que sous le gouvernement Marois, en 2013. Les dépenses de missions, pour leur part, avaient baissé de 2,5 milliards sous leur poids de 2013. Ce recul a aggravé les déficiences en éducation, en santé et ailleurs plutôt que de les corriger.
Ainsi donc, en 2015, l’alourdissement fiscal et les compressions de dépenses dans les missions avaient déjà fourni un apport total de 5,5 milliards aux finances du Québec. En y ajoutant l’effet net des revenus provenant d’Hydro-Québec, des transferts fédéraux et des paiements d’intérêt sur la dette, le retournement du solde budgétaire a atteint 6,1 milliards en 2016. On est passé d’un déficit de 1,7 milliard en 2013 à un surplus de 4,4 milliards trois ans plus tard.
Sans doute en toute sincérité, le gouvernement a cherché à convaincre la population que la marge de manoeuvre ainsi acquise lui permettrait de « changer profondément » le Québec et d’en faire un « État du XXIe siècle axé sur l’innovation ». Malheureusement, au lieu de cela, à l’approche des élections, il a ouvert les vannes des réductions d’impôts et de l’accélération des dépenses et inondé ses budgets de plus de 150 mesures coulant dans toutes les directions, sans plan directeur. Il est même prévu qu’en 2018 ses dépenses dans les missions et les immobilisations connaîtront une fabuleuse augmentation de 11,8 milliards par rapport à 2016 ! Le graphique montre que les budgets de 2017 et 2018 ont complètement dissipé la marge de manoeuvre engendrée par les mesures d’austérité de
2014 et 2015 qui ont touché les impôts et les dépenses dans les missions. On en est revenu aux poids de 2013. La stratégie budgétaire du gouvernement Couillard a probablement donné aux électeurs la désagréable impression d’avoir été manipulés. Ils n’ont pas observé chez lui d’intention ferme de corriger les carences largement perçues dans les missions. À la place, ils ont pu conclure que le gouvernement avait passé trois ans à se bâtir une cagnotte simplement pour leur distribuer des bonbons à la veille de l’élection de 2018. Ils n’ont peut-être pas aimé se faire prendre pour des naïfs à qui les cadeaux de 2017 et 2018 feraient oublier l’austérité de 2014 à 2016. Quel enseignement le prochain gouvernement peut-il en tirer ? Selon les sondages récents de CROP et Léger, les deux tiers des Québécois croient payer trop d’impôts, mais jugent qu’il vaudrait mieux pour l’instant réinvestir dans les services publics plutôt que d’alléger la fiscalité. Plus de 90 % pensent que, s’ils paient plus d’impôts, c’est surtout à cause de la corruption, de l’évasion ou de l’évitement fiscal, et du gaspillage.
La voie à suivre est tracée. Combattre la fraude et les paradis fiscaux, bien sûr. Mais aussi reconstruire les services publics en sortant du cadre traditionnel des compressions de dépenses aveugles comme celles qui ont été imposées de 2014 à 2016. Par exemple, faire gérer les transports (ou même la santé) par des gens compétents à une certaine distance des élus, comme le font déjà avec succès la Régie des rentes et la Société de l’assurance automobile dans leurs champs respectifs. Aplanir les disparités entre l’école publique et l’école privée, comme le vise le réseau des écoles indépendantes en Suède. Casser la stérile dynamique d’affrontement et relancer un dialogue respectueux entre les partenaires de la santé sur les problèmes criants du secteur, comme viennent de le suggérer les anciens ministres Castonguay, Clair et Rochon.
C’est pourtant simple. Ce qu’on veut, c’est que la grosse entreprise de 110 milliards qu’est le gouvernement du Québec se concentre sur ses activités fondamentales. Avec diligence, sans volte-face, partout, et tout le temps.