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Formation politique inexistante il y a 15 mois, mise au service de l’ambition d’un homme, «La République en marche!» — avec point d’exclamation — disposera donc à l’Assemblée nationale française d’une confortable majorité en sièges, face à des partis d’opposition morcelés et affaiblis comme jamais.
Majorité confortable? En fait, l’avenir le dira, parce que — comme toujours — les chiffres peuvent être trompeurs… Sans compter le programme de réformes annoncé, dont les difficultés ne dépendront pas uniquement de la grosseur des troupes qui le porteront.
Même s’ils ne disent pas tout, les chiffres de cette élection méritent qu’on s’y arrête.
La majorité parlementaire de M. Macron, amplifiée par le système uninominal majoritaire à deux tours, ne correspond pas à une majorité sociale. Comme le faisait observer Christian Rioux dans Le Devoir de samedi, l’abstention sans précédent (51% au premier tour des législatives et 57 % hier) est d’abord celle des classes populaires.
De toute manière, de tels chiffres restent préoccupants, lorsque plus de la moitié des électeurs, quels qu’ils soient, choisissent de bouder la politique.
Nul besoin d’être d’accord avec les choix économiques et politiques d’un Jean-Luc Mélenchon, héraut de la gauche radicale, pour constater avec lui le dangereux décrochage de pans entiers de la société: «Notre peuple est entré dans une forme de grève générale civique, faisant la démonstration de l’état d’épuisement d’institutions qui prétendent organiser la société avec une minorité étriquée qui a tous les pouvoirs.»
De plus, même sans tenir compte de cette participation anémique, le chiffre des appuis à la REM d’Emmanuel Macron exprimés au premier tour — la meilleure mesure de l’adhésion à un candidat, à un programme ou à un parti — était d’environ 32%. Et encore, c’est en y adjoignant les votes MoDem du centriste éternel François Bayrou, proche allié du président.
Avec ce petit tiers des suffrages exprimés, le groupe REM-MoDem occupera près des deux tiers des sièges à l’Assemblée nationale. Dans l’élection à deux tours typique de la France, le décalage entre vote populaire et représentation parlementaire n’est — en fait — pas très différent de ce qu’il est dans le système britannique à un tour, qu’on connaît ici.
Si on fait l’exercice de comptabiliser les candidats arrivés en tête au premier tour, on constate que, dans la majorité des cas, leur première place a été confirmée au second tour. Parfois, il peut y avoir tassement. Et parfois, amplification supplémentaire de l’avantage du «gros» parti… et de l’injustice faite aux «petits». Cette fois, le REM-MoDem avait 450 candidats en tête au premier tour, mais «seulement» 360 au second tour (chiffres arrondis).
Pour une «petite» formation comme le Front national (13,2% des suffrages exprimés le 11 juin), le scrutin à deux tours est encore plus injuste que ne l’aurait été l’uninominal à un tour: une vingtaine de candidats en tête au premier tour… mais seulement huit gagnants au second tour.
Encore une fois, nul besoin d’aimer les idées, le programme ou le style de Marine Le Pen pour comprendre sa frustration: «Il est proprement scandaleux qu’un mouvement comme le nôtre, qui avait recueilli 7,6 millions de voix au premier tour de la présidentielle, et encore 3 millions au premier tour de la législative, ne puisse obtenir un groupe à l’Assemblée nationale.» (Quinze députés sont nécessaires pour cela.)
Les victoires «écrasantes», d’abord de M. Macron, puis de son parti sorti du néant, sont légales, légitimes, incontestables. La percée décisive d’un parti centriste —… où il faudra encore voir ce que «centrisme» veut dire! — est sans précédent en France, terre traditionnelle de la «guerre civile gauche-droite».
Mais ce «triomphe» repose sur une base sociologique faible. Et même si, par hypothèse, la cohésion et la discipline du nouveau groupe dominant s’avéraient fortes et durables à l’Assemblée nationale, les réformes économiques annoncées (libéralisation des lois du travail) pourraient susciter une forte résistance sociale.
Pourtant, à l’international, devant l’Europe et l’Allemagne, M. Macron a besoin de ces réformes… s’il veut ensuite être autre chose que ce qu’ont été ses deux prédécesseurs: des nains face au pouvoir d’Angela Merkel.
Oui, attention aux victoires trop écrasantes: elles peuvent s’avérer trompeuses.