Airbnb : criminels et terroristes peuvent-ils rentrer chez vous ?
Prostitution et proxénétisme, agressions diverses, trafic de drogue, terrorisme: non, il ne s’agit pas du sommaire d’une émission à sensation consacrée à la vie nocturne d’une exotique république bananière. Ces fléaux, bien réels, sont de plus en plus souvent le lot de simples particuliers, dont le seul tort est d’avoir loué leur appartement sur une plateforme en ligne de type Airbnb.
Si ces phénomènes restent, heureusement, marginaux, ils prennent de l’ampleur. En témoignent les récurrents faits divers relayés par la presse: cet été, ce sont deux jeunes Françaises qui ont ainsi découvert, dans l’appartement qu’elles avaient loué en Espagne par la plateforme Airbnb, une caméra les filmant au sortir de la douche. À Montréal, un proxénète se servait d’appartements proposés sur le même site afin d’y exploiter un véritable réseau de prostitution, tout en s’adonnant à la production de drogue. En 2015, c’est un jeune Américain qui s’est retrouvé séquestré et violé par son hôte espagnole.
Mais il y a encore plus grave: tout le monde se souvient hélas du fameux «Djawad», cet homme soupçonné d’avoir accueilli, dans un appartement de la ville francilienne de Saint-Denis, une partie des terroristes ayant perpétré les attentats du 13 novembre 2015. Plus récemment, c’est le kamikaze de l’attaque de Manchester, Salman Abedi, qui a pu séjourner dans un logement loué sur Internet avant de passer à l’acte. Le tout, sans être inquiété le moins du monde par les ser vices de police, qui ignoraient tout simplement sa présence dans la ville.
Deux poids deux mesures
Les plateformes de locations en ligne comme Airbnb ne sont évidemment pas directement responsables des abus commis par certains de leurs utilisateurs. Il ne s’agit pas non plus de jeter l’opprobre sur une manière de voyager et de séjourner qui séduit de nombreux touristes. Mais force est de constater que l’absence de normes de sécurité favorise le développement d’activités illicites.
Autant d’activités qui ne se produisent pas dans les hôtels traditionnels sous surveillance. Et pour cause: contrairement aux particuliers proposant leur logement sur des sites Internet, les professionnels de l’hôtellerie sont soumis à une législation extrêmement stricte en matière de sûreté et sécurité. Je pense bien sûr aux normes contraignantes, obligatoires et aux contrôles draconiens opérés par des commissions de sécurité en matière de protection et de prévention contre les incendies. Ces mêmes contrôles totalement absents des locations entre particuliers.
Je pense aussi et surtout à l’obligation faite à tous les exploitants d’hébergements touristiques de faire remplir à leurs clients étrangers une «fiche individuelle de police». Autrement dit, chaque touriste arrivant dans un hôtel français est tenu de communiquer un certain nombre de renseignements personnels (nom et prénom, date et lieu de naissance, nationalité, domicile habituel, numéro de téléphone portable, courriel, etc.). Autant de données précieuses que l’hôtelier doit conserver durant une période de six mois et transmettre aux services de police si ceux-ci en font la demande.
Élémentaires mesures de sécurité, dira-ton… Élémentaire, oui, mais pas chez les plateformes de location en ligne. Contrairement aux professionnels de l’hôtellerie, la législation ne contraint pas les loueurs en ligne à déclarer qui vient occuper les appartements de plus en plus nombreux qui sont loués par des particuliers. Alors que l’on estime à 80 000 le nombre de logements proposés par la seule entreprise Airbnb à Paris, cette lacune pose une vraie question de sécurité publique.
Irrégularités
En retard sur les grandes métropoles internationales, la Mairie de Paris multiplie les initiatives afin de lutter contre la location meublée touristique illégale. Il faut s’en féliciter. Mais alors que les Français vivent depuis des années dans le cadre du plan Vigipirate renforcé et sous l’état d’urgence, alors que la menace terroriste n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, peut-on encore se contenter de ce deux poids deux mesures aux conséquences potentiellement dramatiques?
La mairesse Anne Hidalgo souhaite que chaque loueur parisien déclare le nombre de locations qu’il réalise en une année. C’est un pas en avant. Mais qu’en est-il de l’identité de chaque locataire pénétrant dans les lieux? Pourquoi, d’un côté, obliger les hôteliers traditionnels à faire remplir une fiche de police à tous leurs clients étrangers et, de l’autre, tolérer une absence totale de vérification des clients des plateformes en ligne ? On parle bien ici de l’équivalent de la moitié du parc d’accueil touristique parisien: n’y a-t-il pas urgence à faire appliquer la loi ?
En effet, la loi existe, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers stipule en toutes lettres que les particuliers qui louent un logement meublé aux vacanciers sont aussi concernés par la fiche de police. Pourquoi ne pas demander à la plateforme de l’hébergeur de retranscrire les indications fournies par le client lors de sa réservation, données qui seraient automatiquement transmises à l’autorité compétente, avec la copie des passeports ou cartes d’identité de tous les occupants?
Un particulier qui loue régulièrement son logement sur Internet devient, de fait, un concurrent des hôtels — et, par défaut, un ERP (Établissement recevant du public), même si ce statut n’est pas encore, hélas, reconnu. À lui d’engager sa responsabilité en ce qui concerne l’identité des clients auxquels il ouvre sa porte. Et de permettre aux services de police d’intervenir s’ils détectent une menace ou une irrégularité.
La sécurité est la première des libertés, ne cessent de répéter les responsables politiques. Elle est surtout affaire de bon sens. Et l’affaire de tous.