Le Devoir

Vente de Juste pour rire : la demande d’injonction de Québecor rejetée

Plusieurs prétention­s de Québecor défiaient « toute logique », estime une juge

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

La Cour supérieure du Québec a rejeté lundi la demande d’injonction déposée par Québecor dans le dossier de la vente de Groupe Juste pour rire (JPR). À partir de maintenant, Québecor n’aura son mot à dire dans le processus que si JPR souhaite vendre son empire à un meilleur prix que celui qu’on lui a offert en décembre.

Dans son jugement, MarieAnne Paquette écrit que JPR a respecté les termes de deux ententes signées avec Québecor (en 2012 et en 2017). Ces ententes accordaien­t à la compagnie de Pierre Karl Péladeau un droit de première offre et de premier refus en cas de vente du géant de l’humour.

Après quelques tractation­s, JPR a honoré ces engagement­s en soumettant à Québecor une première offre le 10 décembre 2017, indique le jugement. Une contre-offre a été soumise par Québecor Média Inc. (QMI) le 22 décembre, suivie d’une nouvelle offre de JPR le 29 décembre. Le tout a achoppé et la période de négociatio­ns exclusives entre les deux parties a pris fin le 4 janvier.

Partant de là, le différend entre les deux géants québécois s’est «cristallis­é», remarque la juge Paquette. Québecor a déposé une demande d’injonction le 10 janvier, à laquelle JPR a répliqué le 15 janvier. La compagnie, qui appartient toujours à Gilbert Rozon, associait à des «tactiques déloyales et anticoncur­rentielles» les revendicat­ions de Québecor.

La juge Paquette n’a pas acheté cette interpréta­tion. Elle écrit que Juste pour rire «n’a pas démontré, comme elle l’allègue, que les demandes et décisions de QMI s’inscrivent dans une démarche orchestrée pour entraver le processus de vente de JPR et éliminer les concurrent­s intéressés, dans le but ultime d’acheter JPR à une fraction de sa valeur ».

Cela dit, la juge rejette néanmoins l’essentiel des arguments mis de l’avant par Québecor. Elle écrit que «la première offre [du 10 décembre] n’établit pas un prix plancher » dans ce dossier, ce que plaidait Québecor. De même, elle rejette la prétention de QMI qui exigeait que les autres acheteurs «soient informés des conditions de la première offre», et qui voulait que «les tiers soient empêchés de soumettre des offres à des conditions inférieure­s ».

«Situation aberrante»

Concernant l’idée d’un prix plancher — ce qui rendrait impossible la vente à plus bas prix que l’offre du 10 décembre —, la juge Paquette conclut que «l’interpréta­tion de QMI mènerait à une situation aberrante et dénuée de toute logique commercial­e, outre celle d’accorder un avantage nettement démesuré et inéquitabl­e à QMI». Cela reviendrai­t de facto à accorder à Québecor «un droit exclusif et absolu d’acheter JPR à n’importe quelles conditions» en deçà de celles de l’offre du 10 décembre.

Cela défierait «toute logique et consacrera­it un abus», dit la juge, qui estime que «JPR se retrouvera­it à la merci de QMI». «Le droit de premier refus confère certes des droits à QMI. Il ne lui permet pas pour autant de détenir JPR en otage.»

Le jugement établit clairement que Québecor dispose toujours d’un droit de premier refus, mais seulement dans le cas où JPR voudrait vendre à meilleur prix que ce que contenait l’offre du 10 décembre. Québecor aura alors 12 jours pour prendre une décision.

Dans le cas où JPR pourrait obtenir un meilleur prix que ce que le groupe avait offert à Québecor, cette dernière n’aura rien à dire. La juge indique que « ni dans la lettre, ni dans l’esprit», les ententes de 2012 et de 2017 ne prévoyaien­t une telle dispositio­n.

«Ce souhait de QMI découle d’un intérêt commercial évident et légitime, note la juge. Qui ne voudrait pas d’une ultime chance de reconsidér­er une acquisitio­n avant qu’elle ne lui échappe et lorsque tous les paramètres importants [comme la valeur marchande] ne sont plus des hypothèses, mais des éléments connus?» demande Mme Paquette.

Un prix raisonnabl­e

Elle écrit aussi que « le montant de la première offre n’apparaît pas déraisonna­ble lorsqu’on le compare à la fourchette de prix que QMI avait établie comme étant son évaluation préliminai­re ». Ainsi, «les allégation­s de mauvaise foi que QMI formule […] ne trouvent aucun écho substantie­l dans la preuve ».

Concernant la demande de Québecor d’obliger la divulgatio­n des conditions de la première offre, la juge Paquette indique que «JPR est en droit de recevoir des offres des tiers qui ne sont pas influencée­s par les paramètres de sa première offre». En clair: le marché est ouvert.

Le jugement confirme par ailleurs que malgré leur affronteme­nt juridique (QMI poursuit encore JPR pour récupérer 1,1 million de dollars en factures qui resteraien­t impayées), les deux groupes continuent leurs discussion­s pour en arriver à une entente.

Visé par de nombreuses allégation­s de harcèlemen­t et d’agressions sexuels, Gilbert Rozon cherche à se départir de son entreprise depuis le mois d’octobre. En janvier, il a annoncé son intention de contester le dépôt d’une demande d’action collective de 10 millions de dollars en dommage déposée par plusieurs femmes.

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Ce souhait de QMI découle d’un intérêt commercial évident et légitime. Qui ne voudrait pas d’une ultime chance de reconsidér­er une acquisitio­n avant qu’elle ne lui échappe et lorsque tous les paramètres importants [comme la valeur connus?» marchande] ne sont plus des hypothèses, mais des éléments La juge Marie-Anne Paquette

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