Le Gaboteur Magazine

Le jazz et le français, petite histoire d’un grand amour

INTRONISÉE EN 2017 AU NL JAZZ & BLUES HALL OF FAME, MARY BARRY OCCUPERA LA SCÈNE DE L’ESPACE FRANCO AU FESTIVAL FOLK DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR, EN AOÛT PROCHAIN. VIGNEAULT, PIAF ET PLUSIEURS DE SES PROPRES COMPOSITIO­NS EN FRANÇAIS SERONT AU RENDEZ-VOUS.

- Un texte de Laurence Berthou-Hébert

Pour la Terre-Neuvienne de langue maternelle anglaise Mary Barry, l’amour du français et de la musique sont intimement liés. « Si je fais de la musique, c’est vraiment grâce au français », résume celle qui se désigne comme une Frewfie, une contractio­n de son cru des mots « français » et « newfoundla­nder » .

Vivre d’Est en Ouest

Son histoire commence de façon tragique, avec le décès de son père, musicien prolifique et qui disparut subitement suite à un arrêt cardiaque. Pour la jeune Mary, alors âgée de 10 ans, cette perte est doublement douloureus­e : « Non seulement je perdais mon père, mais avec sa mort, c’est aussi mon lien avec la musique qui disparaiss­ait. »

L’été suivant, la jeune Mary recevra une invitation déterminan­te. Son oncle montréalai­s les invite, ses frères et elle, à l’Expo 67. C’est lors de ce voyage que Mary découvre la culture avec un grand C, qu’elle ne cessera de fréquenter par la suite.

La musique continuera de susciter son intérêt, mais c’est à 17 ans, en recevant une bourse pour étudier le français à l’Université d’Ottawa, que la musique ressurgit dans sa vie, grâce à un petit café, The Waste Land. Elle y prend ses habitudes et y perfection­ne son français auprès de Québécois de Gatineau surtout. Dans ce café, il y avait un piano qui accueillai­t Christiane Dubois, une auteure-compositri­ce qui interpréta­it notamment des classiques de la chanson française. « C’est là, dans ce café où l’on jouait aux échecs en fumant des Gitanes, que le français m’a adoptée. »

De retour à Terre-Neuve, Mary décroche un emploi comme marionnett­iste pour une tournée dans les Maritimes. Elle adore le monde du spectacle, mais cette expérience lui permet de découvrir sa véritable vo

cation, le chant jazz. La jeune chanteuse se joint alors à The East & Blues Band, au sein duquel elle doit remplacer le chanteur principal. « C’était terrifiant, car je devais apprendre 33 chansons en trois jours, mais en fin de compte, j’ai adoré ça ! »

À l’époque, il n’y avait pas d’école de musique à St. John’s, alors c’est au Vancouver Community College que Mary Barry tente sa chance. « À l’audition le jury me regardait en voulant dire : “Tu oses venir ici alors que tu n’as pas de formation en musique ? ” » Mary prit alors le parti de parler de son amour de la musique, « de la façon dont elle fait partie de [son] âme, de [son] coeur, de [son] histoire ». Elle chanta ensuite deux pièces, et c’était tout. Verdict du jury : « Nous n’acceptons jamais de candidat sans formation. Mais, once in a blue moon (dans de très rares occasions), nous choisisson­s des gens simplement sur la base de leur talent. Bienvenue parmi nous ! »

Le français comme ancrage

Après sa formation, Mary Barry a le mal du pays et souhaite revenir à Terre-Neuve. En chemin, elle arrête visiter des amis à Québec. « Je devais rester trois jours, je suis restée dix ans... ! » Arrivée en plein festival d’été, elle tombe sous le charme de l’ambiance qui règne alors dans la vieille capitale.

C’est lors d’une soirée aux Nuits du Nord, un café qui lui rappelle le Waste Land, que sa vie prend un nouveau tournant. Assise au piano, la Terre-Neuvienne entame Georgia on my Mind. La propriétai­re du bar l’approche et lui demande : « Qui estu ? Que fais-tu demain ? Je t’offre 20 $ pour un 5 à 7, peux-tu faire

« Si je fais de la musique, c’est vraiment grâce au français »

deux sets? » Mary Barry pouvait désormais vivre de son art. Durant deux ans, elle foule les planches des Nuits du Nord chaque soir. La « One Woman House Band » fait ainsi ses armes avant de finalement revenir s’installer à St-John’s, dix ans plus tard.

Mary Barry a depuis lancé cinq albums, dont Chansons irisées, entièremen­t en français, reçu moult prix et nomination­s, en plus d’être intronisée au NL Jazz & Blues Hall of Fame. Cette reconnaiss­ance des siens a grandement ému la chanteuse, qui reçoit cet honneur comme « une validation, un appui de la communauté qui donne envie de continuer ».

Refusant de choisir entre ses deux ports d’attache, Mary a le coeur à la fois au Québec, où elle a gardé de nombreux amis, et à Terre-Neuve, son véritable « home », où elle a continué d’évoluer en tant qu’artiste. La constante dans sa carrière est l’audace, qui lui a servi « dans un milieu où évoluer en tant que femme n’est pas toujours gagné d’avance ».

Alors qu’elle hésitait à se lancer en musique, une médium rencontrée à l’époque de ses études à Vancouver lui avait donné ce conseil désarmant de vérité : « It doesn’t matter how old you are. What really matters is how good you are. So just go do it, now. » Mary a eu raison d’écouter son coeur plutôt que ses peurs.

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 ??  ?? Pour son album entièremen­t français Chansons irisées, Mary Barry a été mise en nomination au Prix de la musique de la côte Est (East Coast Music Award) dans la catégorie Album francophon­e de l’année 2010.
Pour son album entièremen­t français Chansons irisées, Mary Barry a été mise en nomination au Prix de la musique de la côte Est (East Coast Music Award) dans la catégorie Album francophon­e de l’année 2010.

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