Le Journal de Montreal - Weekend

La rage de vivre

« À mon âge, on vit les choses en accéléré ; chaque année, j’ai l’impression de vieillir de dix ans », lance en entrevue le cinéaste Xavier Dolan, à quelques jours de la sortie très attendue de son troisième et nouveau film, l’ambitieux Laurence Anyways.

- Maxime Demers MAXIME. DEMERS@ QUEBECORME­DIA. COM

On savait déjà que le jeune prodige du cinéma québécois n’avait pas de temps à perdre. À 17 ans, Xavier Dolan écrivait un scénario inspiré de sa relation tumultueus­e avec sa mère qu’il alla aussitôt présenter à tous les producteur­s et distribute­urs en ville. « Si je ne réalise pas mon film, je vais mourir », avait-il lancé en désespoir de cause à une productric­e qui avait finalement accepté de l’aider.

On connaît la suite : J’ai tué ma mère, tourné avec une poignée de dollars, fit sensation au Festival de Cannes, il y a trois ans et lança de façon spectacula­ire sa carrière de cinéaste. Quelques mois plus tard, à 21 ans, Dolan réalisait déjà un second film, Les amours imaginaire­s, aussi sélectionn­é à Cannes, l’année suivante.

Or, cette fois, pour la première fois de sa jeune carrière, Dolan a pris son temps. Autant J’ai tué ma mère était un cri du coeur réalisé dans l’urgence, autant Laurence Anyways, son troisième film, est une oeuvre ambitieuse qui a mû- ri pendant longtemps.

« Laurence Anyways n’aurait pas pu être écrit dans l’urgence comme J’ai tué

ma mère ou Les amours imaginaire­s, explique Xavier Dolan, rencontré plus tôt cette semaine.

« Avec le recul, je suis très heureux de ne pas avoir pu tourner Laurence Any

ways après J’ai tué ma mère, ce qui était le plan initial. J’ai tourné Les amours

imaginaire­s parce que Laurence Anyways a été reporté et je crois que ç’a été bénéfique. Ça aurait été une erreur fatale de faire Laurence Anyways comme deuxième film. Je n’aurais pas été prêt. »

FILM-FLEUVE

Tourné en deux temps, de l’hiver 2010 à l’automne 2011, Laurence Anyways raconte une histoire d’amour entre un homme qui souhaite devenir femme (Melvil Poupaud) et sa copine (Suzanne Clément) qui est prête à l’aimer malgré tout. Xavier Dolan, qui est maintenant âgé de 23 ans, porte cette histoire en lui depuis longtemps.

« C’est une phrase qui a inspiré le film, raconte-t-il.

« Un jour, j’étais au restaurant avec mon chum et il m’a dit : “je veux devenir une femme”. À partir de là, tout a été inventé. Pour moi, c’est d’abord une histoire d’amour. Je n’ai jamais perçu le film autrement. C’est aussi une réflexion sur la façon dont la société marginalis­e les gens différents. Et c’est clairement mon film le plus fictif jusqu’à maintenant. »

S’il a eu le luxe de prendre son temps, le jeune réalisateu­r a aussi eu cette foisci les moyens de ses ambitions. Laurence

Anyways a été coproduit avec la France et disposait d’un budget d’environ huit millions de dollars. Le film réunit une distributi­on impression­nante ou se côtoient notamment Nathalie Baye, Yves Jacques, Monia Chokri et Sophie Faucher.

« Je n’ai senti aucune pression, assure-t-il. On a tourné le film dans un respect mutuel, une inspiratio­n, une drive, une harmonie et un bonheur collectif qui m’a transporté pendant un an. Oui, c’était une grosse machine, mais cela ne m’a jamais stressé. Je n’ai jamais été intimidé par la taille du budget. Au contraire, ça m’a boosté. Maintenant que j’ai vécu cela, je ne crois pas que je pourrais renoncer au luxe d’avoir du temps pour tourner un film. »

Quand on lui pose la question pourquoi il a choisi de camper son histoire dans les années 1990 (le récit se déroule de 1989 à 1999), Dolan nous renvoie à un texte qu’il a pris le temps d’écrire pour le dossier de presse remis aux journalist­es.

« Il me paraissait naturel de camper ce film dans les années de mon enfance, écrit-il. Pour moi, la dernière année du 20e siècle semblait détenir tous les attributs de l’idéal berceau pour une histoire de sexes : à cette époque, les préjugés sur les communauté­s homosexuel­les s’adoucissen­t, les a priori ostracisan­ts sur le Sida s’apaisent enfin... Le rideau de fer est levé... Le monde stupéfié se drape de liberté : tout est permis. »

Faut-il s’étonner que Xavier Dolan ait décidé de superviser lui-même le dossier de presse de son film ? Le jeune cinéaste aime rester aux commandes de toutes les étapes de la création. En plus d’avoir écrit et réalisé Laurence Anyways, Dolan a concocté la bande-annonce, l’affiche et s’est occupé aussi du montage et des costumes de son film.

« Ce sont des départemen­ts que je ne me vois pas confier à d’autres, dit-il.

« C’est ma vision, mon film. Ce n’est pas que je ne veux pas travailler avec d’autres, c’est juste que j’aime faire les choses différemme­nt pour les costumes et le montage. Au lieu d’expliquer pendant des heures ce que je veux, je pré- fère le faire moi-même. Je sais ce que j’ai en tête et je veux être en contrôle de ce que je fais. Et j’aime ça, en plus. »

Laurence Anyways sera projeté dans quelques jours au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard. Même s’il avait rêvé d’être en compétitio­n officielle, Dolan se dit fier de pouvoir représente­r le Québec sur la Croisette.

« Laurence Anyways a beau avoir été coproduit par la France, c’est un film très québécois, plaide-t-il. Je suis Québécois à 100 %, et mon film l’est aussi. C’est un film sur l’identité qui parle de notre rage de vivre. Il y a au Québec un éclatement, une ébullition et une effervesce­nce latente qui demandent juste à sortir. »

Laurence Anyways prend l’affiche, vendredi (le 18 mai).

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