Le Journal de Montreal

Un bouclier de silence

- JOSÉE LEGAULT

Au-delà de la guerre surréalist­e de mots autour de l’expression même de «culture du viol», il reste une société secouée. Secouée par les agressions sexuelles à l’Université Laval et par l’indifféren­ce initiale de sa direction.

Secouée par les allégation­s d’agression sexuelle d’Alice Paquet contre Gerry Sklavounos, député et ex-leader parlementa­ire du gouverneme­nt Couillard. Secouée par le lynchage virtuel de Mme Paquet dans les médias sociaux.

Pendant ce temps, des questions cruciales sont laissées sans réponses. Comment se fait-il que les comporteme­nts connus de «crouseur» «insistant» et «déplacé» de M. Sklavounos aient pu se déployer en toute impunité et aussi longtemps dans les couloirs de l’Assemblée nationale?

Y a-t-il ou non des «cas» semblables dans d’autres partis politiques? Lorsqu’ils harcèlent ou abusent d’une femme, pourquoi le silence persiste-t-il encore face à des hommes de «pouvoir», qu’il soit politique, financier, familial ou bêtement hiérarchiq­ue?

BOUCLIER DE SILENCE

Que l’on passe ne serait-ce qu’une seconde à questionne­r le passé des victimes au lieu de s’indigner du bouclier de silence complice derrière lequel leurs prédateurs se cachent me laisse toujours sans voix.

Et que dire de l’étiquette trop facile de «mononc’»? Cette fausse analogie ne sert qu’à banaliser l’abaissemen­t et le mépris des femmes par des paroles dégradante­s, des mains baladeuses non sollicitée­s ou une agression.

Pendant qu’en 2016 on intime encore aux femmes de «verrouille­r leurs portes», de plus en plus d’hommes dénoncent enfin, eux aussi, de tels comporteme­nts.

Mais comment combattre la violence sexuelle dans nos sociétés dites avancées? S’il est vrai qu’au Québec on reparle beaucoup d’«égalité hommesfemm­es» depuis quelques années, le problème est que nous le faisons en confondant «égalité» et «laïcité».

Or, ce même principe d’égalité est un sujet en soi. Et ce, sur tous les plans – social, politique, sexuel, religieux et économique.

À GLACER LE SANG

Vendredi, Le Devoir faisait état d’une recherche universita­ire dont les résultats glacent le sang. On y apprend que le tiers des participan­ts – âgés de 21 à 35 ans, dont 40 % d’étudiants –, «pousseraie­nt la séduction jusqu’à l’agression s’ils étaient assurés de ne pas être poursuivis». Le tiers!

Dans les officines du pouvoir, cette donnée doit sonner l’alerte. Nourrie entre autres par un accès direct à la porno sur le web, s’il est vrai que la culture d’objectivat­ion des femmes n’est plus dominante, elle s’avère néanmoins plus tenace que prévu. Voire intergénér­ationnelle.

Des pistes de solutions existent. On le sait. Y compris de ressuscite­r le rempart essentiel de l’éducation. Au Québec, les cours d’éducation sexuelle ont toutefois été abolis. Face à sa propre gaffe, le ministère de l’Éducation propose un projet-pilote pour une quinzaine d’écoles.

Il prévoit non pas un cours comme tel, mais des «apprentiss­ages» de «5 à 15 heures par année» du préscolair­e au secondaire. C’est mieux que rien, diront certains.

Comme contrepoid­s urgent à la culture entêtée d’objectivat­ion des femmes, le projet prend soudaineme­nt des airs de parent pauvre.

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Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique
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L’ex-député libéral Gerry Sklavounos avait des comporteme­nts connus de «crouseur» «insistant» et «déplacé» dans les couloirs de l’Assemblée nationale.

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