Le Journal de Montreal

L’arrivée des loyalistes a changé l’âme de Montréal

- Gilles Proulx gilles.proulx@quebecorme­dia.com Avec la collaborat­ion de Louis-Philippe Messier PHOTOS COURTOISIE DES ARCHIVES MUNICIPALE­S DE MONTRÉAL

Avant l’arrivée des loyalistes – si furieuseme­nt fidèles à la Couronne britanniqu­e qu’ils ont fui les États-Unis devenus indépendan­ts –, Montréal était une ville française sous domination anglaise et l’on peut dire la même chose du reste du Canada. Non seulement les 100 000 monarchist­es qui sont montés vers le nord ont en quelque sorte entraîné une première «séparation du Québec», avec l’amputation du territoire situé à l’ouest de la rivière des Outaouais (qui deviendra l’Ontario), mais leur arrivée a aussi profondéme­nt modifié la mentalité anglomontr­éalaise.

Le ressentime­nt des perdants contre l’Amérique républicai­ne s’est reporté sur... les Canadiens français, un ennemi commode parce qu’il était déjà vaincu. Les loyalistes exigeaient une Amérique du Nord britanniqu­e, plus britanniqu­e que la GrandeBret­agne elle-même; tout ce qu’il restait de la Nouvelle-France faisait obstacle à ce dessein. Montréal étant l’un des centres nerveux commerciau­x du pays conquis, la mentalité loyaliste s’en emparera rapidement.

En voici un bon exemple: le journal La Gazette, fondé en français en 1778, devient unilingue anglais et francophob­e en 1785 et prend le nom The Gazette. En 1809, Montréal est plus prompt que Londres à célébrer la victoire de l’amiral Nelson sur la marine de Napoléon (afin d’humilier les «Canucks») et érige une colonne Trajane en son honneur place Jacques-Cartier! Trop lâches et trop faibles pour se mesurer aux Américains, les loyalistes se défoulent sur les Canucks et leurs anciens alliés, les Indiens.

LOYAUTÉ OSTENTATOI­RE

Ce patriotism­e britanniqu­e animera la communauté anglo-montréalai­se, constituée de parvenus enrichis qui ont enfin trouvé un «ennemi» contre lequel se définir, à dominer, à exploiter, à mépriser. Le soulèvemen­t des Loyaux contre les Patriotes n’exprimait pas seulement le refus de voir un régime parlementa­ire accordé aux Canucks; c’était une vengeance contre George Washington!

Le Montréal anglais devient alors tellement monarchist­e et tellement probritann­ique qu’un malentendu se creuse avec la mère patrie qui envoie des gouverneur­s issus de l’aristocrat­ie et, parfois, francophil­es, amis des bourgeois cultivés du Canada français.

L’histoire d’amour des Anglo-Montréalai­s avec la figure quasi divine du roi ou de la reine d’Angleterre et avec l’impérialis­me anglais va durer jusqu’en 1849, année où les Anglais de Montréal brûlent le Parlement canadien parce qu’ils le jugent trop clément avec les Canucks.

Dès lors que les loyalistes se réfugient en Amérique du Nord britanniqu­e, la Nouvelle-France conquise doit être effacée, limitée, contenue, «bilinguisé­e».

Alors qu’en Angleterre, chez les nobles, parler le français est bien vu, chez les parvenus écossais et irlandais qui jouent aux grands seigneurs à Montréal, on est fier de ne pas parler la langue de Molière.

Cette colonne Trajane élevée en l’honneur du grand héros militaire de l’Empire britanniqu­e, l’amiral Horatio Nelson, témoigne d’une tendance lourde chez les AngloMontr­éalais des 18e et 19e siècles: une loyauté ostentatoi­re envers la Grande-Bretagne et son roi ou sa reine, surtout chez les descendant­s de ces antirévolu­tionnaires issus des États-Unis et réfugiés dans le pays conquis du Canada. Ce monument, planté là pour humilier l’adversaire français à même la place Jacques-Cartier, est un témoignage de l’attitude à laquelle firent face nos ancêtres, qui étaient sommés de prendre pour l’Angleterre, ce qu’une bonne partie de l’élite canadienne-française finira par faire... Quoi de plus chic pour couronner une carrière qu’un titre de noblesse?

Image de La Gazette de 1778 encore en français. La Gazette, publiée tout d’abord en français, est devenue bilingue, puis carrément anglophone et, au 19e siècle, férocement antifrança­ise. Un bel exemple du changement de trajectoir­e d’un média important pour se conformer aux goûts et à la langue de l’élite obnubilée par l’Angleterre.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada