Le Journal de Quebec - Weekend

CES GRANDS OUBLIÉS DU SYSTÈME JUDICIAIRE

Quand une mère est condamnée à une peine de prison, qu’advient-il de son ou ses enfants ? Dans certains pays, ils la suivent par défaut. Dans d’autres, ils sont pris en charge par la famille, le père ou l’État.

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ISABELLE HONTEBEYRI­E Agence QMI Quand Léa Pool commence à se pencher sur le sort des mères en prison, Unité 9 n’existe pas encore, la réalité « maternelle » des femmes incarcérée­s n’est pas connue du grand public. La cinéaste se met au travail et, via des recherches exhaustive­s, découvre des organismes offrant aux enfants et aux mères un certain nombre de services d’aide qui s’avèrent indispensa­bles.

Au Népal, au Québec, en Bolivie et aux États-Unis, la cinéaste de L’industrie du

ruban rose fait parler les enfants sur la réalité de ce qu’ils vivent.

« Ces organismes ont la confiance des mères, des enfants, du milieu carcéral et des directeurs de prison. On s’est vite rendu compte que c’était la seule façon de faire un travail qui, en même temps, dénonce et montre des exemples de ce qui est possible de faire », détaille Léa Pool en entrevue, quelques jours avant la sortie de son documentai­re.

« Quand j’ai commencé à parler du film, personne ne s’était jamais posé la question. Il suffit qu’on n’ait personne dans notre environnem­ent immédiat qui soit en prison et qui ait un enfant, pour que cela ne fasse pas partie de notre réalité. Il y a beaucoup de souffrance­s derrière ça, mais il y a aussi beaucoup d’espoir à travers des femmes d’exception et des organismes non subvention­nés qui essayent de rendre plus viable la vie de ces enfants et de ces mères qui vivent une séparation extrêmemen­t douloureus­e. »

LA PAROLE AUX ENFANTS

Immédiatem­ent, Léa Pool a voulu donner la parole aux enfants. Âgés de 9 à 18 ans, filles ou garçons, ils témoignent dans des mots simples la réalité qui est la leur, le crime de la mère n’étant mentionné que lorsque le jeune en parle lui-même.

Au Népal et en Bolivie, ils suivent leur mère derrière les barreaux. Aux ÉtatsUnis, ils en sont éloignés de 1000 km.

En donnant la parole aux enfants « et à leurs mères, puisqu’elles parlent de leurs enfants », Léa Pool a également inséré, à travers Double peine, des droits demandés par les enfants des détenus à San Francisco. Cette charte de droits jalonne le long métrage, comme celui « de voir, parler à et toucher mon parent » ou « d’être entendu quand des décisions sont prises à mon propos ».

« Quand j’ai trouvé ces “droits” que les enfants avaient écrits, j’ai été tellement touchée parce que je me suis dit que c’était tellement basique », souligne la réalisatri­ce.

Mais Léa Pool insiste. Les contacts entre les enfants et leur mère sont rendus possibles par des organismes à but non lucratif, « non subvention­nés ». Au Québec, par exemple, Karolyne-Joany (9 ans) et Audrey- Kim (8 ans) peuvent passer 24 heures avec leur mère, Marie-Nicole, qui purge une peine de neuf mois et demi, « grâce à Continuité-famille auprès des détenues (CFAD). C’est un organisme minuscule qui travaille entièremen­t en bénévolat. Le travail consiste à aller dans les prisons avec les enfants, prendre un bus pour se rendre là-bas… » Double peine n’est pas L’industrie du ruban rose, Léa Pool le sait. Audelà de la dénonciati­on d’une situation méconnue, « c’est sûr que je ne peux pas résoudre, en un film, une problémati­que dont on n’a jamais parlé. L’idée, c’est d’ouvrir des portes. Que ceux qui étudient en droit soient au courant, qu’on montre ce film dans les écoles », dit-elle en mentionnan­t des solutions comme un accès à Skype ou de faibles peines commuées en travaux communauta­ires avec bracelet électroniq­ue afin de maintenir ce lien indispensa­ble entre la mère et l’enfant. « Une mère reste une mère », quel que soit son crime.

LA SAGESSE DE L’ENFANCE

Côté fictions, Denise Robert est la productric­e, via sa boîte Cinémagina­ire, des deux volets de De père en flic, de Le sens de l’humour ou encore de Route 132. Côté documentai­res, c’est grâce à elle que le public a pu voir Les voleurs d’enfance, Québec sur ordon

nance, ou encore Surviving Progress et, aujourd’hui, Double peine.

« Quand j’écoute ces enfants, je me dis “Est-ce qu’on écoute les enfants ?”, comment peut-on leur rendre la vie plus facile ? […] On a beaucoup à apprendre d’eux. Les mères en prison ne sont pas nécessaire­ment juste des criminelle­s, ce sont des femmes qui ont des enfants. Elles sont préoccupée­s par le bien-être de leur enfant autant que les mères qui sont à la maison. C’est de conscienti­ser la population. Il faut leur donner les moyens d’être capables de s’en sortir et d’applaudir quand elles s’en sortent », explique-t-elle quand on lui demande ce qu’elle espère que

Double peine aura comme impact auprès du public.

Et qu’est-ce qui l’a surprise chez tous ces enfants interviewé­s par Léa Pool ? « La manière dont les enfants s’accommoden­t de tout. La maturité qu’ils ont, tout en gardant leur innocence […] On a beaucoup de leçons à apprendre des enfants. Ce qui m’impression­ne d’eux c’est qu’ils nous montrent des choses de la vie. […] Un enfant, ça ne juge pas. »

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La réalisatri­ce Léa Pool.
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