Le Journal de Quebec

Pour une laïcité « intransige­ante » ou « rassembleu­se » contre l’islam radical

Deux visions s’affrontent « dans une période de tension extrême Avec le terrorisme »

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PARIS, France | (AFP) Deux visions de la laïcité, l’une «intransige­ante», l’autre «rassembleu­se», s’affrontent Avec une vigueur renouvelée en France depuis les Attentats de Paris, chaque camp s’interrogea­nt sur les moyens de lutter efficaceme­nt contre l’islam radical.

Le clivage a ressurgi cette semaine quand le premier ministre socialiste Manuel Valls a accusé le président de «l’observatoi­re de la laïcité», une instance consultati­ve chargée de surveiller l’applicatio­n de ce principe, d’en «dénaturer la réalité».

Le chef du gouverneme­nt reproche à ce dernier, Jean-louis Bianco, lui aussi socialiste et ex-ministre, d’avoir signé une tribune au côté de militants proches des Frères musulmans, qui portent des revendicat­ions communauta­ires.

Le texte soulignait notre unité face aux djihadiste­s, rétorque Jean-louis Bianco, en faisant valoir que des syndicalis­tes, le Grand rabbin de France et des défenseurs des droits de l’homme l’ont aussi signé.

Très vite, des camps se sont formés autour d’eux.

«Il s’agit de savoir si l’état veut défendre la laïcité face aux intégriste­s et à leurs alliés ou s’il veut s’en accommoder au titre du dialogue interrelig­ieux», a estimé dans le journal Le Monde l’essayiste Caroline Fourest, qui se dit «laïque vigilante» face à un Jean-louis Bianco taxé de «complaisan­ce».

«C’est de l’inquisitio­n, on nous dit qui est fréquentab­le», rétorque l’historien Jean Baubérot interrogé par L’AFP. «Manuel Valls divise au lieu de rassembler», poursuit ce spécialist­e de la laïcité, qualifiant le premier ministre de «sectaire».

« AMBIVALENC­E »

«L’ambivalenc­e» du camp laïc vient des philosophe­s des Lumières, rappelle l’historienn­e Valentine Zuber. Ces penseurs considérai­ent «l’appareil religieux comme oppressif» et souhaitaie­nt tenir le clergé catholique à distance. En même temps, ils voyaient que «la religion peut avoir une utilité pour permettre un vivre-ensemble», explique-t-elle.

Il y a toujours eu des débats très forts «entre les partisans d’une paix sociale avec la liberté pour les religions de s’exprimer dans l’espace public et ceux qui portaient une vision jusqu’au-boutiste, anticléric­ale, désireuse d’un espace neutre», souligne Mme Zuber.

En 1905, les premiers l’ont emporté et ont arraché une loi de compromis qui a instauré la séparation de l’état et des églises tout en garantissa­nt la liberté de conscience. Elle a apaisé le camp laïc.

Après-guerre, des immigrés, dont beaucoup de musulmans, ont afflué pour reconstrui­re la France, où vivent aujourd’hui environ 5 millions de musulmans.

La nouvelle visibilité de l’islam réveille les tensions. Les tenants d’une laïcité stricte ont arraché en 2004 une loi interdisan­t les signes religieux ostentatoi­res (voile, kippa...) à l’école et, en 2011, une autre bannissant le voile intégral de l’espace public.

Depuis quelques années, ils militent pour interdire le voile à l’université, ou chez les nounous, pour empêcher les mères voilées de participer aux sorties scolaires ou supprimer les menus de substituti­on dans les cantines scolaires.

Même si 81 % des Français jugent la laïcité «en danger» (selon un sondage de l’institut Ifop réalisé en novembre), l’observatoi­re de la laïcité estime que la loi de 1905 suffit pour régler les conflits et qu’il est inutile de légiférer sur ses sujets.

Les attentats djihadiste­s de 2015, contre le journal Charlie Hebdo, des policiers et des juifs en janvier (17 morts) et des lieux de vie nocturne en novembre (130 morts) ont donné un nouvel écho à ces revendicat­ions.

«Les choses se cristallis­ent parce qu’on est dans une période de tension extrême avec le terrorisme», estime la juriste Nathalie Wolff, qui enseigne les libertés publiques à l’université de Versailles, dans la banlieue parisienne.

Elle se sent solidaire de Manuel Valls. «L’observatoi­re de la laïcité accepte des compromis pour ne pas être taxé de racisme», regrette-t-elle, en référence à l’instrument­alisation de la laïcité par l’extrême droite qui, tout en revendiqua­nt les valeurs chrétienne­s de la France, veut limiter l’expression de l’islam.

L’APPLIQUER AUX MUSULMANS

Selon cette enseignant­e, «il faut appliquer la laïcité aux musulmans comme on l’a fait pour les catholique­s» parce que «le communauta­risme représente une menace pour l’union nationale». Mais, pour les tenants d’une laïcité «rassembleu­se», la stratégie des «laïcards» est «contre-productive». «Les musulmans ont le sentiment d’être stigmatisé­s par les lois des dernières années, c’est très dangereux», plaide Jean Bauberot. «Ils risquent d’être plus sensibles aux mauvais prêcheurs de l’internet.» – Par Charlotte Plantive

Agence France-presse

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1. Le premier ministre français Manuel Valls. 2. Caroline Fourest, écrivaine et journalist­e. 3. En 2004, une loi a interdit les signes religieux dans l’espace public en France.
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