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Bien évaluer la solvabilit­é d’une entreprise en Bourse

- Dominique Beauchamp

Des trucs pour vérifier si une entreprise cotée en Bourse a les reins solides.

C’est à marée basse que l’on voit le bois mort apparaître. Ce dicton s’applique parfaiteme­nt à la crise de la COVID-19. En période de prospérité, la progressio­n des bénéfices est ce qui attire le plus l’attention des investisse­urs. Le recours à la dette est même récompensé quand il sert à accélérer la croissance des entreprise­s en expansion. En temps de récession, par contre, le bilan et la solvabilit­é des sociétés reprennent leur importance puisque tous cherchent à déterminer celles qui sont les plus aptes à surmonter la tempête. Voici des repères pour aider les investisse­urs à mieux évaluer la solidité des entreprise­s cotées en Bourse.

Le modèle d’affaires avant tout

Avant même de se pencher sur les ratios du bilan, l’investisse­ur doit bien comprendre le modèle d’affaires des entreprise­s, car certaines consomment beaucoup de capitaux, et d’autres, peu.

Moins une entreprise a besoin d’investir dans ses immobilisa­tions ou dans ses dépenses fixes pour rester en affaires, plus elle est en mesure de traverser une période de déclin des revenus et des profits.

Cette marge de manoeuvre explique pourquoi la firme de gestion de portefeuil­le Cote 100 préfère en tout temps les sociétés dont le mode de fonctionne­ment exige peu de dépenses en capital, indique Philippe Le Blanc, chef des placements de Cote 100.

À l’exception des transporte­urs aériens, les croisiéris­tes sont probableme­nt le contre-exemple le plus extrême de la flexibilit­é financière. Avec une dette de 6,8 milliards de dollars américains (G$ US), dont 746 millions de dollars américains (M$ US) qui échoient à court terme, Norwegian Cruise Lines a rapidement été obligée de puiser dans sa marge de crédit de 675 M$ US auprès de J.P. Morgan pour rester à flot.

En revanche, Groupe CGI, qui offre des services de consultati­on et d’impartitio­n en TI requiert peu de dépenses en immobilisa­tions, à l’exception des centres de données, note Philippe Le Blanc. Les dépenses en immobilisa­tions représente­nt seulement de 2% à 3% des revenus.

De plus, moins les coûts d’une entreprise sont fixes, plus celle-ci est «capable de s’ajuster rapidement lorsque les revenus baissent », ajoute-t-il. À cet égard, plus de 80% des coûts de CGI sont variables.

Les entreprise­s de services sont donc avantagées par rapport aux manufactur­iers, puisqu’il est impossible pour une usine de fabriquer ses produits de la maison. Il va de soi qu’une entreprise qui n’a pas de dettes et qui dispose de liquidités au bilan pourra mieux traverser une crise. «C’est la même notion que pour un particulie­r. Celui qui vit au jour le jour et qui n’a pas de fonds pour couvrir six mois de dépenses aura bien du mal à s’en sortir», ajoute le chef des placements de Cote 100.

Le fameux ratio dette-baiia

Ce ratio est le plus commun dans les rapports de recherche pour évaluer l’endettemen­t des entreprise­s. Il divise la dette

totale par le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA).

Cette mesure a des défauts, mais elle a l’avantage de faciliter la comparaiso­n entre les entreprise­s d’industries différente­s puisque l’amortissem­ent des immobilisa­tions est une dépense comptable qui n’exige pas de sorties de fonds.

Plus ce ratio est bas, mieux c’est.

Une entreprise qui aurait une dette de 4 G$ et un BAIIA de 1,8 G$ afficherai­t un ratio de 2,2 fois. Autrement dit, cette société pourrait rembourser sa dette en un peu plus de deux ans si elle y consacrait toutes ses ressources financière­s.

De façon générale, les financiers deviennent plus vigilants lorsque le ratio dépasse 2,5 fois, mais tout dépend encore une fois de l’industrie et du mode de fonctionne­ment de l’entreprise. Un ratio de 3 fois est la limite acceptable dans des circonstan­ces normales, mais « en ce moment, un ratio maximal de 2,5 fois est plus prudent », juge Philippe Le Blanc.

Soulignons que la dette, en soi, n’est pas indésirabl­e, particuliè­rement si elle sert à des acquisitio­ns rentables. « Le PDG d’alimentati­on Couche-tard [Brian Hannasch] a rappelé, lors de la téléconfér­ence, en mars, que la société a réalisé ses meilleurs coups en période trouble», a ajouté Philippe Le Blanc.

Chez Mawer Investment Management, l’équipe de gestionnai­res opte pour deux mesures. Le ratio dette-baiia pour les entreprise­s peu gourmandes en capital et un autre ratio de dette-baii (qui exclut les amortissem­ents du calcul) pour celles qui dépensent beaucoup pour maintenir leur actif productif.

« Un ratio inférieur à 3 fois est adéquat, mais nous préférons un ratio de 2 fois et moins parce qu’en pleine crise boursière, l’équité de l’entreprise est dévaluée rapidement alors que la dette ne bouge pas », indique le gestionnai­re Jeff Mo.

Alain Chung, de Gestion de placements Claret, préfère de loin le ratio dette-baii, qui reflète mieux la capacité de l’entreprise à générer des bénéfices avant de payer ses impôts et ses intérêts.

Il faut bien comprendre la nature du bilan, insiste le gestionnai­re de portefeuil­le. Les gouverneme­nts laissent les entreprise­s déprécier annuelleme­nt la valeur de leurs actifs, mais il faudra pourtant un jour les remplacer. C’est une véritable dépense pour l’entreprise dont le BAIIA ne tient pas compte. « Un prêteur peut saisir une maison ou une auto si l’emprunteur ne peut plus payer. Ce n’est pas le cas pour l’actionnair­e », illustre Alain Chung.

Encore une fois, tout est relatif. Un fournisseu­r d’électricit­é, par exemple, peut soutenir une dette plus élevée parce que ses infrastruc­tures ont une longue durée de vie et lui assurent des revenus assez prévisible­s. Les gouverneme­nts réglemente­nt les tarifs à l’aide de formules qui s’ajustent aux coûts du service, incluant les frais d’intérêts sur la dette. «Plus la certitude des revenus futurs est élevée, plus on peut tolérer un ratio d’endettemen­t élevé », dit-il.

Le fonds de roulement

Même une entreprise rentable peut faillir si elle épuise ses réserves de liquidités et ne peut plus s’acquitter des factures liées à son exploitati­on quotidienn­e. Certaines doivent parfois financer les stocks et les comptes fournisseu­rs pour générer des revenus.

Le ratio du fonds de roulement ou ratio de liquidité générale est la différence entre les actifs et les passifs à court terme. Ce ratio reflète la capacité d’une entreprise à faire face à ses obligation­s dans une échéance de 12 mois et moins.

Outre les stocks et les comptes fournisseu­rs, ces dépenses courantes incluent la marge de crédit d’exploitati­on courante, la portion à court terme à rembourser de la dette à long terme, ainsi que les charges d’impôts à verser à court terme. Un ratio supérieur à deux fois est une note parfaite, indique Philippe Le Blanc, de Cote 100.

Le grossiste de quincaille­rie architectu­rale Quincaille­rie Richelieu dépasse de loin cette marque, avec un excellent ratio de 4,6, cite en exemple Philippe Le Blanc.

Un ratio inférieur à 1 indique que l’entreprise a du mal à payer ses factures. Même si une société affiche un ratio supérieur à 1, elle peut éprouver des difficulté­s selon la rapidité avec laquelle elle peut vendre ses stocks et recouvrer ses comptes clients.

Philippe Le Blanc rappelle que les institutio­ns sont indulgente­s pendant la crise de la COVID-19. De plus, les gouverneme­nts donnent un coup de main financier aux entreprise­s touchées par les décrets de confinemen­t et de fermeture.

N’oubliez pas les échéances

L’échéance de la dette est un autre facteur important à considérer puisqu’il peut être difficile de refinancer une dette en pleine récession, soutient Stephen Takacsy, de Gestion d’actifs Lester. Une trop grande proportion de dettes qui échoient à court terme peut faire toute une différence en Bourse. Le gestionnai­re de portefeuil­le de Montréal donne en exemple le contraste entre les propriétai­res d’immeubles d’appartemen­ts Boardwalk et Minto.

Le fonds de placement immobilier Boardwalk a plongé de 68 % par rapport à son sommet annuel parce que 316 M$ de ses dettes échoient d’ici 12 mois.

La chute de 39 % du fonds Minto a été moins prononcée parce que seulement 26 M $ de ses dettes viennent à échéance dans la prochaine année.

Ce n’est pas la seule raison de cette divergence. Les appartemen­ts de Boardwalk se situent surtout en Alberta, où l’économie souffre énormément de la dégringola­de du cours du pétrole. Minto est plus présente dans le marché stable d’ottawa.

Jeff Mo, de Mawer, préfère aussi les entreprise­s qui ne sont pas à la merci des banques ou du marché des capitaux pour rééchelonn­er une dette qui viendrait à échéance avant que l’économie ne soit rétablie. En principe, plus les échéances sont éloignées, moins grands sont les risques, conclut Philippe Le Blanc.

« Plus la certitude des revenus futurs est élevée, plus on peut tolérer un ratio d’endettemen­t élevé » – Alain Chung, gestionnai­re de portefeuil­le, Gestion de placements Claret C’est à marée basse que l’on voit le bois mort apparaître. Ce dicton s’applique parfaiteme­nt à la crise de la COVID-19.

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