Les Affaires

CE QUI A CHANGÉ APRÈS LA COMMISSION CHARBONNEA­U

- Claudine Hébert redactionl­esaffaires@tc.tc

Plus de 18 mois après le dépôt du rapport de la commissair­e France Charbonnea­u, qu’est-ce qu’auront finalement donné les 261 journées d’audience, le passage des 292 témoins, ainsi que les 151 mémoires présentés lors de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la constructi­on (CEIC) ?

« On attend toujours un message fort de la part du gouverneme­nt. Un message pour indiquer à la population et au monde entier que le ménage a été fait et que l’on a enfin assaini l’industrie de la constructi­on au Québec », lance d’emblée Gérard Mounier, conseiller stratégiqu­e au sein de l’équipe de droit des affaires et coresponsa­ble du groupe Infrastruc­ture au cabinet Lavery, à Montréal.

Le grand coup se fait toujours attendre, poursuit cet expert-observateu­r. Et le temps, dans une telle situation, n’est pas un ami. « Après tous les efforts déployés, cette commission devrait favoriser une meilleure perception d’éthique et de déontologi­e. C’est dommage, on ne la sent toujours pas », indique M. Mounier.

Un avis que partagent plusieurs intervenan­ts liés aux infrastruc­tures, dont André Rainville, PDG de l’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec (AFG). « Nous venons de terminer un exercice rigoureux dont très peu de régions dans le monde peuvent se targuer. Pourtant, les connaissan­ces et les expertises que l’on a acquises en matière d’intégrité ne sont toujours pas mises à l’avant-plan par nos deux gouverneme­nts. Ce qui retarde le regain de confiance de la part du public pour notre industrie », déplore M. Rainville, dont l’associatio­n regroupe plus de 45 firmes de génie-conseil québécoise­s.

Perte de contrats

En attendant, dit-il, les firmes de génie-conseil doivent continuer de composer avec une réputation qui a été entachée par les gestes posés dans le passé par certains des leurs. Ce qui nuit à leur rayonnemen­t internatio­nal. « Au moins cinq firmes de génie-conseil québécoise­s se sont vues écartées, voire interdites de soumission­ner pour des appels d’offres à l’extérieur de la frontière », soutient M. Rainville, qui préfère ne pas donner de noms.

Le président et chef de direction de SNC-Lavalin, Neil Bruce, a justement fait état de cette situation lors de la dernière assemblée générale annuelle de l’entreprise au début du mois de mai. Il soutient que son entreprise a perdu d’importants contrats à l’étranger en 2016 en raison des accusation­s criminelle­s qui pèsent contre elle. Des accusation­s que réfute SNC-Lavalin. M. Bruce n’a pas voulu quantifier l’impact financier de ces contrats perdus. La valeur du carnet de commandes de 10,7 milliards de dollars pour l’année 2016 accusait néanmoins une perte de 11 % en comparaiso­n de celle de 2015.

Des projets et des directives

Remarquez, la CEIC a tout de même produit 8 projets de loi et 13 directives déposés par différents ministres afin de mettre en place des recommanda­tions en matière de transparen­ce et d’intégrité.

Il y a notamment le projet de loi 87, qui facilite la divulgatio­n d’actes répréhensi­bles dans les organismes publics ; le projet de loi 101, qui donne suite aux recommanda­tions de la CEIC en matière de financemen­t politique ; et le projet de loi 108, qui favorise la surveillan­ce des contrats des organismes publics et qui a institué l’Autorité des marchés publics (AMP), une des mesures phares du rapport.

« Cette commission a donné lieu à plusieurs mesures et à plusieurs réglementa­tions qui sont beaucoup mieux qu’avant, mais ça manque de mordant », concède Marie Cossette, avocate associée responsabl­e des secteurs Intégrité d’entreprise et Droit administra­tif du bureau de Québec chez Lavery. Mme Cossette a plusieurs commission­s d’enquête à son actif (Gomery, Poitras, Chamberlan­d).

tient compte des critères environnem­entaux et sociaux, du coût du cycle de vie d’un produit, du caractère innovant et de la qualificat­ion du personnel chargé d’exécuter le marché.

Remarquez, l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ) se réjouit, elle, de ce projet de loi. « Pourquoi faudrait-il gérer l’ensemble du Québec en fonction des quelques villes fautives qui ont été montrées du doigt ? » soulève Alexandre Cusson, premier vice-président de l’UMQ. Cette loi, dit-il, accordera beaucoup plus de flexibilit­é aux villes.

Les architecte­s et les ingénieurs craignent justement cette éventuelle flexibilit­é dans les projets de travaux et d’infrastruc­tures. Une latitude qui ne repose ni sur les compétence­s des profession­nels ni sur la qualité des projets, comme c’est le cas pour les projets d’infrastruc­tures liés aux ministères et aux organismes publics.

Des firmes d’architecte­s qui jettent l’éponge

Actuelleme­nt, le dépôt d’un appel d’offres représente aisément parfois plus de 30000 mille dollars en préparatio­n pour une firme d’architecte­s, signale Lyne Parent, directrice générale de l’Associatio­n des architecte­s en pratique privée du Québec (AAPPQ). « Pour cette raison, beaucoup de firmes vont refuser de participer à des appels d’offres municipaux qui privilégie­nt encore le plus bas prix. Chaque semaine, au moins une firme nous signale qu’elle a jeté l’éponge », rapporte Mme Parent.

La directrice générale de l’AAPPQ rappelle que ce qui coûte cher en matière d’infrastruc­tures, ce ne sont pas la conception et la réalisatio­n des projets, mais leur entretien et leur exploitati­on.

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La commission Charbonnea­u a permis de resserrer certains mécanismes d’intégrité au sein d’entreprise­s liées au monde de la constructi­on.

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