Voyage au coeur d’un estomac artificiel
Que se passe-t-il dans votre estomac lorsque vous engloutissez une pointe de pizza ou un biscuit au chocolat ? Pour faire la lumière sur ce qu’il advient des aliments et mieux comprendre notre système digestif, un estomac artificiel baptisé IViDiS (In Vitro Digestion System) est utilisé depuis 2007 par les scientifiques du Centre de recherche et de développement d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Saint-Hyacinthe.
« On regarde notamment les effets de la mastication, la digestibilité des protéines ou le manque de bile chez un individu, explique le chercheur Yves Arcand. L’IViDiS imite la digestion de plusieurs types d’individus, jeunes ou âgés, petits ou grands mangeurs. On examine aussi l’ordre dans lequel les aliments sont avalés. L’hypothèse est que les différents mécanismes associés à la digestion (la production de chaque enzyme, le brassage, le temps de transit et plusieurs autres facteurs) différeront si on commence par manger une crème glacée et qu’on termine son repas par une soupe aux carottes. »
Alors que notre estomac, d’une longueur moyenne de 25 cm, dispose d’une grande souplesse grâce à ses muscles, le modèle artificiel est plus simple et plus rigide. Lorsqu’on teste un aliment, il est préalablement « mâché » par une sorte de hachoir qui fait office de bouche. Le mélange ainsi obtenu est ensuite introduit dans l’IViDiS, lequel est installé dans une petite pièce vitrée. Le système de digestion in vitro est composé d’un bécher à double paroi muni d’un couvercle; il est alimenté par plusieurs pompes. Celles-ci injectent des doses calculées de salive synthétique, d’enzymes, de sucs gastriques, etc.
Développé il y a plus de 10 ans, l’estomac artificiel est souvent utilisé pour réaliser des tests destinés à l’industrie agroalimentaire. Par exemple, en évaluant le potentiel antioxydant d’un aliment ou en améliorant l’efficacité des bactéries probiotiques du yogourt sur le système digestif. D’ailleurs, dans des travaux publiés en 2015 par l’International Dairy Journal, le chercheur Claude P. Champagne a démontré que des bactéries microencapsulées dans une bille de chocolat mélangée à de la crème glacée peuvent survivre à la congélation et à l’entreposage. De plus, cette protection se poursuit jusque dans l’intestin. « Appliquée à la crème glacée, cette technique peut améliorer la livraison de bactéries vivantes dans l’intestin par un facteur de 400 000 », précise M. Champagne.
Tous les tests ne sont pas destinés à être transposés chez l’humain. « Nous mesurons la survie de micro-organismes pathogènes ou de substances toxiques. Par exemple, nous connaissons la dose à laquelle la bactérie E. coli O157 contenue dans une salade romaine peut devenir dangereuse », illustre Yves Arcand.
Les chercheurs de Saint-Hyacinthe ne sont pas les seuls à disposer d’un estomac artificiel. Des instruments similaires se trouvent également au Manitoba, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Toutefois, pour Yves Arcand, l’IViDis reste unique au monde, car il « peut analyser des millions de combinaisons alimentaires ».
Pour le moment, la machine imite de manière imparfaite le segment situé entre l’estomac et l’intestin grêle. Une lacune que l’équipe scientifique entend combler prochainement si elle obtient le financement nécessaire de la part du gouvernement fédéral pour terminer la conception d’un second estomac qui ressemblerait davantage à celui de l’humain avec une poche souple fabriquée en polyvinylacétate-cryogel. Un système de brassage de l’estomac plus réaliste serait également intégré. « Actuellement, nous pouvons contrôler la concentration de la salive, mais nous ne pouvons pas varier sa composition au cours de la digestion. Le nouvel estomac pourra faire les deux à la fois », décrit Yves Arcand.