China Today (French)

Réflexions sur Confucius et la philosophi­e chinoise (II)

- WOLFGANG KUBIN*

L’auteur explore maintenant la satisfacti­on spirituell­e et la joie que provoque la répétition des gestes, non sans lien avec la pensée européenne.

Les Entretiens de Confucius débutent par un dicton en trois parties qui est entré depuis longtemps dans le langage courant. Concentron­s-nous pour l’instant sur sa première partie : « Le maître dit : “Celui qui étudie pour appliquer au bon moment n’y trouve-t-il pas de la satisfacti­on ? ” »

Dans le texte chinois original, ce dicton comprend trois verbes importants : apprendre, pratiquer et ressentir de la joie. La question est de savoir quels liens internes unissent ces trois verbes entre eux. Sont-ils énumérés au hasard, ou bien au contraire, comme j’en suis pour ma part convaincu, sont-ils liés ensemble par des relations de dépendance les uns par rapport aux autres ?

Ma conviction est qu’on ne peut répondre à cette question qu’en effectuant un détour par l’Europe, et ainsi découvrir que ces verbes n’ont pas été choisis arbitraire­ment par l’auteur mais bien faits pour construire ensemble une explicatio­n des conditions de l’existence humaine, que ce soit dans le passé ou au présent.

Dans le chinois antique « apprendre » signifiait à l’origine « imiter », comme par exemple lorsqu’on répète les mots du professeur. C’est pourquoi la lecture à haute voix, guidée par un professeur, reste jusqu’à nos jours un exercice important, largement pratiqué en Chine. Un peu par- tout en Chine, vous trouverez des groupes de personnes qui se rassemblen­t pour lire et mémoriser des vers à haute voix. De cette façon, l’apprentiss­age produit une communion avec le professeur qui se prolonge en une communion entre étudiants.

Ici, on pourrait facilement insérer les théories de Martin Buber (1878-1965) ou celles de Hans Georg Gadamer (19002002), qui affirment que le processus de développem­ent de la personnali­té est étroitemen­t lié à l’existence d’un interlocut­eur. C’est dans la voix de ce vis-à-vis que chacun pourra se reconnaîtr­e luimême.

Cet interlocut­eur peut être une divinité, un enseignant, un parent ou un partenaire d’étude. D’une façon ou d’une autre, le bonheur ne peut être trouvé que dans la compagnie d’autres personnes. C’est pourquoi Confucius attachait autant d’importance au fait d’être un humain en compagnie d’autres humains.

J’ai déjà rédigé un certain nombre d’articles sur ces thèmes que je traitais par un « détour européen ». On peut faire la même chose avec des concepts comme l’harmonie ou l’admiration, mais cela nous éloignerai­t du thème qui est le nôtre aujourd’hui. Je voudrais effectuer un autre détour par l’Europe pour expliquer plus en profondeur la pensée chinoise. Il s’agit ici de la relation qui se dessine entre l’exercice et la joie, une relation que nous ne parvenons pas toujours à appréhende­r dans toutes ses dimensions.

Exercice et joie

Même si l’exercice (qui vient du latin exercitium, en allemand Übung) a perdu une grande partie de ses adeptes avec le triomphe de la modernité qui s’est imposé dans le monde occidental, il reste à l’origine d’une longue histoire qui prend ses racines dans les temps anciens et englobe le Moyen-Âge, les temps modernes et l’époque contempora­ine, que ce soit en Chine ou en Occident.

Les nuances du terme diffèrent selon la langue dans laquelle il est employé, latin, allemand, anglais ou français, et nous devons nous concentrer plutôt sur son aspect philosophi­que et théologiqu­e que sur son côté étymologiq­ue.

Dans la Grèce antique, l’exercice était considéré comme une manière d’acquérir les talents des dieux. La culture grecque ne considérai­t pas les vertus comme des attributs essentiell­ement humains. Ce n’est qu’au travers de la pratique de certaines aptitudes que la sagesse pouvait devenir pour l’humain une seconde nature.

Cette origine religieuse du terme « exercice » se retrouve au Moyen-Âge et dans les temps modernes. En grec, l’exercice culturel prenait le sens d’ascétisme (άσκησις), et dans le contexte de l’imitatio Christi c’est-à-dire l’imitation du divin, l’exercice offrait la possibilit­é, grâce à l’ab exercitati­o spirituali­a d’accéder à Dieu ( in Deum adscendere). L’exercice permet donc de s’élever et, dans un sens théologiqu­e, d’approcher de la vérité. Cela signifie que l’exercice est la

Newspapers in French

Newspapers from Canada