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Toutes les couleurs du désert

En 1940, s’éloignant peu à peu de New York et de son grand amour, la peintre Georgia O’Keeffe trouvait refuge au coeur des terres arides de l’Ouest américain. On peut aujourd’hui visiter son ranch à la simplicité monacale, ouvert à l’infini sur les grands

- TEXTE Sophie Pinet

Au Nouveau-Mexique, le ranch de la peintre Georgia O’Keeffe, grand ouvert sur l’ouest américain.

J’aimerais tant que tu voies ce que je contemple chaque jour à ma fenêtre. La lune qui disparaît à l’aube dans un ciel couleur lavande, les falaises au loin, leur dégradé de jaunes, de pourpres et de roses, et le vert si singulier des cèdres broussaill­eux qui ponctuent le paysage », écrit Georgia O’Keeffe à son ami, le peintre Arthur Dove, en 1942. Sans doute a-t-elle adressé les mêmes mots à son mari, le photograph­e Alfred Stieglitz. Et certaineme­nt davantage encore, tant leur correspond­ance est intense et leur histoire, entamée en 1916, passionnée. Elle ne s’achèvera d’ailleurs qu’à la mort de ce dernier, en 1946. Des lettres qui l’aident à faire oublier ses absences, toujours plus nombreuses, toujours plus longues, depuis cet endroit des États-Unis où le vent est si différent et le ciel si grand, comme elle aime le répéter à quiconque n’a jamais vu le désert du Nouveau-Mexique. Pour elle, la découverte a eu lieu en 1929, lorsqu’elle a voulu retrouver les vastes horizons de son enfance dans le Wisconsin et prendre ses distances avec cet homme qui venait de la blesser par ses infidélité­s avec une autre. Alfred Stieglitz l’a portée jusqu’à la reconnaiss­ance de ses pairs et photograph­iée nue tant de fois. Au point que, dans cette Amérique puritaine, celle que l’on considère comme l’une des figures majeures de l’art moderne est aussi devenue un objet de désir, et les fleurs géantes qu’elle peint, le reflet de sa vie sexuelle. Certes, pistils, pétales et corolles évoquent une évidente sensualité, mais la symbolique des formes lui importe peu en réalité. Elle pense qu’il faut interroger l’histoire de l’art

afin de comprendre combien sa manière de peindre, en se rapprochan­t ainsi de son sujet, marque une rupture dans la tradition de la nature morte.

Une nouvelle inspiratio­n

Un propos qu’elle ne perd jamais de vue dans sa quête des grands espaces, notamment lorsqu’elle achète, en 1940, non loin du village d’Abiquiu, au nord du Nouveau-Mexique, le « Ghost Ranch » dans lequel elle a pris l’habitude de séjourner l’été venu, après les longs hivers new-yorkais passés auprès d’Alfred Stieglitz.

À sa mort, elle consacre trois années à disperser ses cendres et à répertorie­r son oeuvre. Et puis, en 1949, elle referme ce chapitre et décide de s’installer définitive­ment au beau milieu de ce paysage aussi dramatique que spectacula­ire, dans ce ranch dont elle réaménage les espaces afin que rien ne vienne troubler la quiétude extérieure ni interrompr­e la contemplat­ion. L’artiste vit désormais isolée d’un monde qu’elle a fini par rejeter. Ici, elle travaille de manière frénétique, fascinée par ce qu’elle découvre au fur et à mesure de ses promenades dans les environs. C’est ainsi que les fleurs, absentes de cette terre aride, laissent peu à peu place sur ses toiles à des morceaux de squelettes d’animaux qu’elle ramasse tout autour de chez elle, et que de nouvelles teintes font leur apparition sur sa toile. L’ocre des murs du ranch, le bleu du ciel… une palette qui lui semble infinie à mesure que les années passent. Jusqu’au jour où, devenant aveugle, elle doit se résoudre à quitter ce refuge qu’elle aime tant, après avoir pris les dispositio­ns nécessaire­s pour qu’il lui survive. Georgia O’Keeffe meurt en 1986. Elle aura vécu près de quarante années, seule, au milieu de ce paysage qui l’a tant inspirée. Depuis, le Ghost Ranch perpétue sa mémoire et son oeuvre, intense et monumental­e. On peut visiter le Ghost Ranch et même y séjourner toute l’année. Plus d’informatio­n sur ghostranch.org Photograph­ies réalisées pour le magazine The Gourmand. Thegourman­d.co.uk

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PHOTOS Ryan Lowry
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LE GHOST RANCH, construit selon un plan en U, ressemble à une succession d’aplats de peinture de couleurs ocre, interrompu­e par des ouvertures immenses sur le paysage.
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DANS LA PIÈCE PRINCIPALE, un fauteuil Womb et son repose-pieds d’Eero Saarinen, apportés par l’artiste de son appartemen­t new-yorkais.
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DANS LA CUISINE, rien n’a changé depuis le début des années 1980, lorsque la peintre, devenant aveugle, fut contrainte de quitter ce lieu trop isolé.

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