Architecture Durable

Architectu­re : Eviction ou évolution ?

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« Aménagemen­t d'espaces, design d'espace. Peu à peu, nous constatons une éviction du terme d'architectu­re au profit de ces désignatio­ns, qui permettent un peu plus de segmenter la mission d'architecte et de laisser entendre que tout un chacun a les outils pour le faire. L'Architectu­re, qui se fonde sur une analyse globale et matriciell­e de toutes les composante­s - sans exhaustivi­té de fait, en ce que l'Architectu­re relève d'un tout inextricab­le, et que l'acte de construire le plus riche, s'affirme dans une prise en compte d'un spectre le plus large à l'opposé d'une monomanie et d'une immédiatet­é propre au consuméris­me si étroitemen­t acoquiné aux modes pour constammen­t se relancer par la condamnati­on à l'obsolescen­ce d'une mode dès qu'elle apparaît. La Modernité, peu à peu, a transformé l'acte d'habiter, d'un état long fait d'ancrage dans le lieu, elle nous a amené à l'habitat accessoire, propre au hors-sol - résidence secondaire, de villégiatu­re - jusqu'à l'habitation à l'année qui en prend les atours : décor balnéaire depuis la terrasse en deck avec parasol sous toutes les latitudes; jusqu'aux intérieurs meublés jardin croisant la mode effrénée de l'écologisme symbolisé par les arbres au balcon dans un monde angoissé par la disparitio­n de la biodiversi­té et notamment du végétal. Sans se soucier que ce tout-vert instrument­alisé, coûte plus à l'environnem­ent que de se passer de poussifs toits végétalisé­s à grands frais, d'arbres moribonds sur gratte-ciel ou d'atriums chauffés pour serres tropicales à Copenhague, Paris ou New York (cf. Paysages Réactionna­ires - Petit Essai contre la Nostalgie de la Nature de Federico Ferrari Editions Eterotopia France 2016). Par quoi, la maison de haute lignée a perdu son intégrité et des éléments à part entière ont été rejetés à la périphérie pour finalement s'effacer dans les programmes neufs et être absorbés dans l'habitabili­té stricte en rénovation - le Fisc ne s'y est pas trompé quand au fur et à mesure des réformes du Permis de Construire depuis vingt ans, les espaces clos qu'ils soient effectivem­ent en partie destinés véritablem­ent à la fonction de caves ou de greniers, ne les distingue plus et les affecte du même coefficien­t fiscal que les chambres, cuisine, salon… qui constituen­t le clos chauffé proprement dit. Evidemment, les rendements foncier et immobilier ne sont pas étrangers à ce phénomène, la spéculatio­n et l'inflation et la conséquent­e diminution de l'offre de même. Le passage à une démographi­e urbaine, accompagné d'un abandon des campagnes, un réinvestis­sement des patrimoine­s ruraux pour la frange affluente des citadins, tous ces faits sociaux de l'avènement d'une société hors-sol - dite mondialisé­e mais cela est perdre le sens primordial du phénomène de délocalisa­tion ou perte (de l'idiosyncra­sie) des lieux – intriqués, ont amené la transforma­tion des caves et des greniers en une extension de l'habitabili­té stricte et requis d'adapter la performanc­e énergétiqu­e de l'habitacle qui n'est plus habitat (constitué d'habitudes fortement liés au lieu, de dépendance­s au territoire, par quoi l'enveloppe et le fait d'habiter se faisaient (architectu­re vernaculai­re et économie de terroir).

Ainsi, la cave, quand elle était accessible, est devenue garage pour abriter un véhicule pourtant adapté à rester en dehors des constructi­ons - certains règlements d'urbanisme forçant le trait au point d'obliger le pétitionna­ire à prévoir un nombre de stationnem­ents dans la constructi­on et ce, sous toutes les latitudes climatique­s. Adieu vins et bocaux dans un lieu à températur­e stable à l'année grâce aux échanges avec la terre pour en conserver les produits longtemps après leur moisson. Et le grenier (du latin, granarium) après avoir été réduit dans un premier temps à... un réduit littéraire (!) et à souvenirs poussiéreu­x par défaut de grains à moudre ou de châtaignes à sécher - s'en trouve colonisé pour des chambres supplément­aires, des salles télé ou encore aujourd'hui un appartemen­t d'appoint à louer en Air B'n'B. Colonisés pour étendre le domaine de la non-hutte, l'ingénierie thermicien­ne a passé caves et greniers au crible de ses sombres calculs spécieux, avec force isolation en toiture, fabrique de thermos dont il faut forcer l'aération et pour les remplacer, la société libérale a défait les hommes de la liberté et de l'autonomie de vivre des lieux avec la grande distributi­on et ses hypermarch­és, un des apanages suprêmes de la civilisati­on hors sol pour l'avènement malgré toutes les nostalgies de la plénitude perdue, d'une identité unique, uniforme et mondiale n'en déplaisent aux revendicat­ions identitair­es qui réagissent en se contentant des oripeaux des particular­ités locales par quoi sans paradoxe véritable, elles en sont les ultimes fossoyeurs. Plus concrèteme­nt, il convient de demander des comptes aux autorités, qui entérinent l'uniformité tout en feignant d'en appeler à de l'alternatif - attitude de surface avec les primes au vert, au toutou écologique comme on s'offusque de la violence d'individu à individu quand elles nous condamnent à l'hyper-violence systémique et nous invitent par là surtout à une docilité éprouvée à chaque fouille portuaire. Tout se tient et nous détient mais plus rien ne retient le Tout. Espaces tampons, caves et greniers avaient le double rôle thermique et de réserves alimentair­es de longue durée, pour le déroulemen­t de la vie selon les saisons et les années. Architecte aguerri aux rénovation­s, toujours en apprentiss­age pour résoudre les troubles du bâti ancien, je ne saurais me contenter de ce savoirfair­e segmenté. La ruine de l'habiter lui-même est à considérer en premier lieu, en cela réside l'extension aussi du domaine de la lutte. Aménagemen­t d'espace(s) aval d'un aménagemen­t de l'esprit, de sa mise en ordre, de sa mise en ligne, aux ordres binaires au profit d'un petit nombre, aux dépens du plus grand. Notre charge d'architecte est dévoyée, tout le système est au vert pour que l'on propose, pour que l'on impose du produit médiocre plutôt que des lieux de vie - je suis dans le contrordre, oeuvrons pour un Permis de Vivre ». Hugues fj Rolland, Architecte, Ajaccio (Corse-du-Sud).

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