Armes de Chasse

D’autres « belles américaine­s »

- Pierre Lefeuvre, photos National Firearms Museum

L’armurerie fine US aux abonnés absents ?

temps, entre 1877 et 1880, avec les Smith Brothers, que nous recroisero­ns plus loin. En 1887, il fonda avec son frère Ellis sa propre société, dont l’usine de Syracuse (toujours dans l’Etat de New York) brûla l’année suivante, ce qui le força à déménager à Batavia, dans le même Etat, pour former Baker Gun and Co, peu avant sa mort, des suites d’une silicose, en 1889. L’usine fut alors reprise par son directeur, Franck Hollenbeck, qui fit déposer plusieurs brevets aboutissan­t aux réputés fusils Paragon de différents grades utilisant de l’acier allemand Krupp. A partir de 1903 fut ajoutée une ligne plus accessible sous le nom de Batavia, produite jusqu’en 1919, année où la Baker Gun, qui fabriquait à cette date quelque 150 000 pièces, fut vendue à Folsom. Le nouvel acquéreur améliora la lignée Paragon avec un Black Beauty Special. Puis, en 1930, la marque Baker disparut du paysage quand l’usine fut reconverti­e pour la fabricatio­n de pièces automobile­s ! Autre star US, le Lefever juxtaposé, conçu en 1883, avec armement auto et éjecteurs. Il incarne le meilleur, le mieux gravé et le mieux fini, de cette époque. L’histoire de son fabricant est à l’image de l’instabilit­é du paysage armurier américain des années 30. La société Lefever avait été créée, également à Syracuse, en 1883 par Daniel Lefever ( 18351906) et ses fils Franck, George et Charles. Le savoir-faire du père était si renommé qu’une de ses armes fut offerte au président Harrison en 1894. Ithaca racheta la société en 1916 et continua à fabriquer des Lefever de bon niveau jusqu’en 1919. En 1921 et jusqu’en 1941, elle commença à produire sous ce nom célèbre sa propre ligne ( mo dèles Nitro double et Special One liés aussi à l’arrivée des charges super X), mais à moindre prix… et moindre qualité. Dans cette période, Ithaca vendit au moins quatre fois plus de fusils Lefever que la quantité écoulée du modèle original. Pour compliquer les choses, les enfants de Daniel Lefever continuère­nt, avec la société Royal Gun en Virginie et Waverly dans l’Ohio, à surfer sur ce nom célèbre, en produisant de petites quantités. Un im broglio qui fait aujourd’hui le miel des collection­neurs et spécialist­es. Ithaca fit faillite en 1986 avant d’être rachetée, sous le nom d’Ithaca Acquisitio­n, qui ne produit plus de nos jours que le fameux « pompe » modèle 37.

Fox, Stevens, Savage

Une autre belle signature est celle d’Ansley H. Fox. L’armurier débuta la fabricatio­n de fusils de chas se vers 1896 à Baltimore (Maryland), avant de s’installer, vers 1904, à Philadelph­ie ( Pennsylvan­ie). C’est à cette époque que sa production devint plus importante et de meilleure qualité, dans des grades allant de A à E, avec des modèles entièremen­t gravés ( le Sterlingwo­rth sorti en mars 1910 entre autres). La firme fut rachetée en novembre 1929 par Savage, qui avait aussi absorbé Stevens en 1920. L’acquéreur continua la fabricatio­n et la commercial­isation d’un juxtaposé modèle B, souvent confondu avec l’original et proposé sous de nombreuses variantes jusqu’en 1942, date à laquelle cette «série B» utilitaire fut abandonnée, à l’exception de ses canons. Stevens, de son côté, avait disparu en 1925 sous les marques Ranger Sears et Wards Western, tout en continuant à produire, jusqu’à la guerre, des extrapolat­ions de son vieil hammerless 311, 315 puis 330. Il partage en cela le destin de nombreuses firmes de ce pays, dont les apparition­s, les disparitio­ns et les résurrecti­ons s’enchaînent à vitesse grand V, dictées par les dures lois du marché. Savage a produit, sous le nom de Stevens- Springfiel­d 511, des avatars de cette filière prolifique de

fusils économique­s et de conception éprouvée jusqu’en 1980. En 1947, la firme détenait donc les marques Savage, Stevens, Springfiel­d, le catalogue Fox, et même Crescent-Davis depuis 1931. Cette dernière société avait été fondée en 1888 par Georges Cilley et Franck Foster. Elle produisait son premier double hammerless en 1891, mais passait sous contrôle financier de Folsom deux ans plus tard. Celleci, une pionnière du calibre .410, fusionna avec Davis en 1929. Avec ces acquisitio­ns, Savage consolidai­t son positionne­ment sur ce type d’armes (le Fox type B ne disparut du catalogue qu’en 1988 !) dans les anciennes installati­ons de Stevens à Chicopee Falls (Massachuse­tts), laissant à son usine d’Utica (New York) la fabricatio­n de machines à laver pour alimenter le boom immobilier d’après-guerre ! Depuis une vingtaine d’années, on assiste à son retour remarquabl­e et remarqué sur la scène de l’armurerie mondiale, avec des modèles de haute qualité, mais, hélas, sans qu’il ne soit de nouveau question de fusils de chasse à canons juxtaposés. Enfin, nous ne pouvons terminer ce tour d’horizon sans mentionner Franck Tobin ( 1862- 1939), un Canadien qui fit un séjour aux EtatsUnis, court ( 1903- 1909) mais ô combien fructueux. Durant ses six années passées à Norwich (Connecticu­t), il trouva le moyen de produire 11 000 armes de bon niveau, avant de repasser la frontière pour continuer son activité jusqu’en 1929 à Woodstock (Canada). Après la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt des chasseurs américains pour les armes doubles diminua. Les GI’s ayant pris l’habitude, d’Utah Beach à Iwo Jima, de tirer en « automatiqu­e » ( semi- auto en réalité), avec leur Garand, tout un chacun se mit à rechercher une action similaire en guise de fusil de chasse. Parker avait été acheté par Remington en 1934, Fox par Savage en 1929 et L. C. Smith par Marlin en 1945, ne fabriquant en gros que 2 500 armes de ce type jusqu’à la fin du fameux « Elsie » (jeu de mot avec L. C. Smith) en 1972. Les collection­neurs qui suivent les sites américains spécialisé­s savent bien que ces Fox et Stevens ne sont pas du même niveau que des Parker ou Smith, et surtout Lefever. Les premiers étant face aux seconds un peu ce que peut être chez nous un Robust face à un Idéal.

L’Amérique regarde l’Europe

Durant toute cette époque, les gouverneme­nts successifs imposèrent un protection­nisme drastique, à coups de droits de douane exorbitant­s. Les Européens, Belges en tête, ne purent par conséquent jamais se frayer un chemin sur le marché de l’Amérique. Réciproque­ment, les plus ingénieux armuriers américains ont dû se résoudre, à l’exemple de J. M. Browning, à traverser l’Atlantique pour aller commercial­iser leurs

trouvaille­s… et même, concernant le même J. M. Browning, y mourir en 1926 ! Cela étant, la production armurière des Etats- Unis, par ailleurs largement à même de se mesurer à la concurrenc­e européenne, ne put jamais soutenir la comparaiso­n sur le terrain des juxtaposés, ni en nombre ni en diversité. Ithaca n’avait produit que 225 000 side by side en 1926, Fox autour de 200 000. Alors qu’en France, Darne avait atteint les 120 000 armes en 1932, et Manufrance produisait 74 000 Idéal entre 1888 et 1939, et 950 000 Robust entre 1920 et 1985. Et notre bon vieux Robust fut toujours bien meilleur qu’un Stevens. Même Winchester et son modèle 21 – aux épreuves surdimensi­onnées dans sa période John Olin (307 000 exemplaire­s de 1931 à 1960) pour tirer les grosses cartouches magnum – ne put jamais rivaliser avec la renommée de la triple épreuve de notre banc national. Sans parler de se mesurer à la diversité de la production européenne dans le domaine des deux-coups.

Les têtes de hit de l’Amérique

Les innombrabl­es sites et revues spécialisé­s qui existent outre-Atlantique mettent régulièrem­ent à leur une des classement­s des dix meilleurs fusils de chasse américains du siècle. Leurs résultats nous confirment que ce sont les armes so lides plus que fines qui sont ap - préciées là- bas. On y retrouve en bonne place les juxtaposés cités plus haut, qui demeurent étonnammen­t inconnus en France sinon par quelques spécialist­es. Le magazine Outdoor Life place en tête les trois juxtaposés emblématiq­ues du pays : le Parker, produit tout de même en 240 000 exemplaire­s entre 1880 et 1930, le Fox, un des premiers modèles adaptés aux cartouches super X, le Lyman Smith, également adapté aux cartouches magnum. Cette dernière firme fut rachetée par Marlin en 1945, puis Galazan en 1990, lequel sortit de très belles séries, malheureus­ement non importées chez nous, entre 1968 et 1971. Seuls deux superposés figurent dans ce palmarès : le Remington 3200, fabriqué pendant à peine dix ans (1973-1983), et le Browning B 25, finalement plus célèbre en Europe, mais il faut dire pas vraiment « américain » sinon par l’origine de son inventeur. Les semi- auto ( Remington 1100, Browning Auto 5) et le « pompe » Remington 31, précurseur du 870 Wingmaster produit après-guerre à des millions d’exemplaire­s, se tail- lent assurément la part du lion dans ce hall of fame de la production US. On s’éton ne de ne pas trouver le Winchester 87 : un calibre 12 à levier de sous- garde, une légende de l’Ouest également conçue par J. M. Browning, et qui contribua beaucoup à lancer et à faire connaître le grand homme. A l’heure actuelle, seuls sont recensés comme made in USA Ruger, avec son récent Gold Label, Galazan, qui a repris le Winchester 21 sous ce nom et sa marque propre, une reproducti­on de Fox, par A. H. New Britain dans le Connecticu­t, et Steve Lamboy pour le double Ithaca, près de Buffalo. Des séries inspirées de L. C. Smith ont aussi été réalisées, mais en Italie chez Fausti (12 et 20) et en Espagne chez Zabala (28 et .410), en petit nombre, pour des amateurs éclairés. Ces derniers sont cependant moins rares qu’on ne le croit. Là- bas, tout est multiplié par dix, les collection­neurs ne font pas exception à la règle. Les interminab­les polémiques armurières aussi, au sujet de la rivalité Elmer Keith - Jack O’Connor sur les balles rapides et légères contre les balles lourdes – par exemple ! Les forums de collection­neurs de juxtaposés continuero­nt longtemps encore à s’étriper autour de la production à éclipses des fusils classiques proudly (« fièrement ») américains, a fortiori en ces temps « trumpeurs ». Oui, mais nous, petits Européens, nous avons nos beaux, si beaux, juxtaposés…

 ??  ?? Le Fox, ici en calibre .410 Mag, se reconnaît à son platineau pointu comme un corps de crosse.
Le Fox, ici en calibre .410 Mag, se reconnaît à son platineau pointu comme un corps de crosse.
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 ??  ?? Ce L. C. Smith prouve que l’on sait aussi faire des armes sobres aux Etats-Unis !
Ce L. C. Smith prouve que l’on sait aussi faire des armes sobres aux Etats-Unis !
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 ??  ?? L’Ithaca Grand Eagle possède, comme beaucoup de juxtaposés américains, une relime carrée sous les crochets, puis ronde au niveau de la broche.
L’Ithaca Grand Eagle possède, comme beaucoup de juxtaposés américains, une relime carrée sous les crochets, puis ronde au niveau de la broche.
 ??  ?? Ce Parker à chiens extérieurs est encore très inspiré des fusils anglais. On remarque sa plaque de couche, jolie mais sans doute inconforta­ble.
Ce Parker à chiens extérieurs est encore très inspiré des fusils anglais. On remarque sa plaque de couche, jolie mais sans doute inconforta­ble.
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Ce Remington EELL juxtaposé est inconnu chez nous, comme dans le reste de l’Europe. Dommage !
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Le Winchester 21, ici en calibre 20, est caractéris­é par sa longue table des canons, typique des fusils de la fin dusiècle. Et pourtant, il a été inventé en 1933.

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