Armes de Chasse

Elmer Keith contre Jack O’Connor

Balles lourdes et lentes face aux légères et rapides, le débat

- Pierre Lefeuvre

Balles lourdes et lentes face aux légères et rapides, le débat

Parmi les grandes controvers­es cynégétiqu­es et armurières, il en est une qui, aux Etats-Unis, règne en maître. Car elle oppose deux illustres chasseurs, Jack O’Connor et Elmer Keith. Un peu comme si, chez nous, Maurice Genevoix et Paul Vialar s’empaillaie­nt sur les mérites respectifs du 12 et du 16 ! Ici, il s’agit d’un face-à-face entre balles légères et rapides d’un côté et balles lourdes et lentes de l’autre. Place au débat.

Aux Etats- Unis, dans les années vingt, le monde de la chasse est marqué par des réflexions balistique­s tout droit issues de la Grande Guerre. Comme toujours les énormes progrès accomplis par les militaires en termes d’armes, de calibres et de balles sont peu à peu distillés dans l’univers de la chasse. L’avènement en 1925 du .270 Winchester, petite balle (7 mm) rapide à trajectoir­e tendue en est une parfaite illustrati­on. Le « parrain » de cette nouvelle cartouche est l’écrivain et journalist­e ( pour Outdoor Life) Jack O’Connor (1902-1978) qui préconise une trajectoir­e tendue et un bon placement d’une balle qui n’a pas forcément besoin d’être énorme. La vitesse et le choc hydrostati­que devant selon lui laisser sur place le gibier. La controvers­e démarre en 1930 quand un journalist­e concurrent ( pour American Rifleman), Elmer Keith, relate lors d’une chasse commune un mouflon raté par le colonel Snyder avec du .30-06, calibre assez proche du 270 Winchester. Or Snyder est un ami d’O’Connor qui non seulement s’inscrit en faux (le mouflon est tombé net), mais affirme que Keith était absent…

Les deux camps sont en place

S’opposent alors deux personnali­tés que tout sépare. O’Connor est un universita­ire de l’Arizona professeur d’anglais et conférenci­er, qui chasse beaucoup et partout grâce à ses relations. Elmer Keith (1889-1984) est un cow-boy assez rustique et pittoresqu­e, on pourrait dire brut de décof-

frage, dont les écrits au ton rude et direct sont un véritable défi pour tout éditeur. Mais il a, comme on dit, l’expérience de terrain. Toujours le .44 à la hanche, il chasse depuis l’âge de 10 ans, principale­ment dans les Rocheuses, joue parfois les guides dans son Idaho natal, où il aurait été marqué par l’échec des premières balles « rapides » essayées sur des wapitis. Depuis, il ne jure que par les gros fusils et les grosses balles. C’est surtout un extraordin­aire praticien de la sacro-sainte trilogie de l’Ouest américain : carabine, fusil lisse, revolver six gun dont il est un grand théoricien, promoteur notamment des gros calibres .357 et .44 magnum. Il a un avis surtout pratique qui nous renvoie immédiatem­ent sur le terrain. Ses écrits laissent poindre un ton agressif et une certaine jalousie, que montent aussi en épingle une concurrenc­e et une polémique savamment entretenue­s par le monde de l’édition, il n’y a pas mieux pour faire monter les tirages. Quant à O’Connor, on lui reproche de surtout chasser avec son Olympia ( sa machine à écrire) plutôt que sur le terrain. En plus, à l’été 1938, il se tire malencontr­eusement dans le pied à la chasse au lapin ! Le contraste entre théoricien et praticien de terrain est à son comble. Les deux auteurs ont bercé la jeunesse de nombreux chasseurs et amateurs de nature en Amérique et dans le reste du monde entier. O’Connor était, et de loin, meilleur écrivain, plus ouvert sur l’avenir et ce qu’il a écrit a bien vieilli et reste toujours d’actualité. Sa façon de penser fut évolutive. Pour le Big Five africain, il sut bien vite abandonner son .270 Winchester fétiche pour le .375 H& H, puis le .450 Watts, précurseur du .458 Lott. Elmer Keith, qui chassa beaucoup avec le .338 Winchester, fut pour sa part un expériment­ateur hors pair dont les travaux furent utilisés par Roy Weatherby quand il sortit, en 1963, le .340 Weatherby Magnum, puis en 1998 le .338, des cartouches à la fois rapides et puissantes qui mirent balistique­ment tout le monde d’accord. Dans cet aprèsguerr­e, la polémique s’était un peu atténuée, on avait compris qu’elle était née du chargement un peu anémique dans les années vingt du .3006, moins poussé que de nos jours, du fait de la présence sur le marché de nombreuses armes plus assez solides pour en tirer la quintessen­ce. Et puis, en 1990, la technologi­e des balles et des poudres avait elle aussi beaucoup évolué.

La relève est en marche

De nos jours, les sites américains restent partagés. On respecte O’Connor un peu comme la figure tutélaire du vieux prof sévère mais juste, mais on aime Elmer Keith comme un vieux copain haut en couleur, accueillan­t tout un chacun chez lui, en faisant des démonstrat­ions de tirs par sa fenêtre aussi immédiates que détonantes pour expliquer l’action ! Assez curieuseme­nt, du fait de leurs années de naissance, l’un comme l’autre, même s’ils eurent une activité militaire classique de conscripti­on, ne prirent pas part au service actif dans les deux guerres mondiales. On pense qu’ils en auraient tiré des conclusion­s passionnan­tes… et sans doute de nouveau opposées ! En attendant, le débat entre balles rapides et légères contre lourdes et lentes reste plus que jamais d’actualité, aux Etats-Unis comme de l’autre côté de l’Atlantique.

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Jack O’Connor, son calme légendaire, cette attitude posée, professora­le.
 ??  ?? Elmer Keith, son air renfrogné, bougon, sur l’une des rares photos où l’on ne voit pas son Colt 44.
Elmer Keith, son air renfrogné, bougon, sur l’une des rares photos où l’on ne voit pas son Colt 44.
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 ??  ?? Elmer Keith préférait, aux cartouches plus modernes tel le .270 Win., les vieux calibres lents à balles lourdes.
Elmer Keith préférait, aux cartouches plus modernes tel le .270 Win., les vieux calibres lents à balles lourdes.

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