Far West en Forez
La carabine revolver Mitrailleuse Verney-Carron modèle 1883 Difficile d’imaginer que ce mixte de Colt et de carabine soit né à Saint-Etienne. Et pourtant, c’est le cas. Gros plan sur une Verney-Carron atypique.
La carabine revolver Mitrailleuse VerneyCarron modèle 1883
Le XIXe siècle est l’âge d’or des chasses dites « coloniales » , qui confrontent les tireurs à des animaux résistants et dangereux. Leurs armes et leurs munitions ont par conséquent dû être adaptées à ces gibiers. Certes, toutes les manufactures européennes fabriquaient déjà de bons fusils mixtes ou drillings, mais il leur manquait la puissance de feu. On vit donc apparaître de nouvelles armes à la capacité de tir accrue, tel le Berringer modèle 1862 (présenté dans Armes de Chasse n° 47, 4e trimestre 2012). La manufacture Verney-Carron Frères diffuse à cette époque, et à l’instar de beaucoup d’autres ateliers d’arquebuserie, nombre de carabines américaines. Mais il lui manque une arme bien spécifique pour la grande chasse. Celle-ci apparaît en 1883 : c’est la « carabine mitrailleuse Verney-Carron Frères pour le tir, la défense personnelle et la chasse aux bêtes fauves à réservoir tournant » (sic).
Sa particularité ? La perfection
Il s’agit d’une adaptation du principe à barillet des revolvers, comme l’on déjà entrepris Rivolier et tant d’autres. Mais ici le principe mécanique a fait l’objet de minutieuses études et le fonctionnement s’avère parfait. Et pour cause, cette carabine bénéficie déjà de onze ans d’expérience puisqu’elle est en réalité une création de Michel Javelle qui en a déposé le brevet le 12 mars 1872. Il y a de cela une bonne vingtaine d’années, une épave de cette carabine a traîné quelque temps sur les plateaux des bourses aux armes. L’arme avait été enterrée pendant l’Occupation et ce qu’il en restait était dans un état lamentable : les bois avaient totalement disparu, le canon et le mécanisme étaient corrodés à l’extrême. Il aurait été bien difficile de se faire une idée de ce qu’elle avait pu être sans l’existence d’un modèle équivalent parmi les trésors du musée d’Art et d’Industrie de Saint- Etienne, présentée dans un ouvrage édité par le musée, Armes de chasse, de la boulette fulminante à la percussion centrale (tome 2, p. 261). Le hasard faisant bien les choses,
au moment où nous décidions de consacrer un article à cette arme, un autre exemplaire est apparu sur le marché à l’occasion d’une vente aux enchères – une « rare carabine révolver d’essai de fabrication Verney-Carron, prototype proposé pour
un usage militaire » . Nous nous sommes empressés de contacter l’acheteur, qui a bien voulu nous confier sa nouvelle acquisition. Au premier coup d’oeil, il est évident que l’arme n’a pas une vocation militaire. Les têtes de vis guillochées, la calotte en corne noire à l’extrémité du devant, la qualité des bois de noyer excluent les rigueurs d’un théâtre de guerre. Il s’agit bien de l’une de ces rarissimes carabines revolver fabriquées en 1883, parfaitement authentique et de surcroît en très bel état.
Une véritable culasse mobile
L’arme est du type dit à cadre fermé – il ne pouvait en être autrement étant donné la puissance de la munition. Le barillet, d’un diamètre de 50 mm, est foré de huit chambres de 10 mm sur 62. Il s’extrait de sa cage pour les opérations de chargement et de déchargement au moyen d’un levier en allonge sur la droite à l’avant de la carcasse, jusque sous le devant. En poussant le levier vers la droite, le bras agit sur l’ergot d’une bielle qui déverrouille le barillet et fait pivoter son support d’axe. Le barillet est alors complètement extrait de son logement et, en fin de course, l’extracteur central en étoile est entraîné, refoulant les étuis des cartouches tirées ou non. Contrairement à certains revolvers, le mouvement de rotation n’est pas induit par un rocher cranté mais grâce à des crans profonds taillés sur le pourtour externe du barillet. Cet éloignement de l’axe central favorise l’efficacité du mouvement, c’est un gage de fiabilité. La rotation du barillet s’opère grâce à une came à ergot articulée sur le chien et située sur le flanc gauche de la carcasse. En armant le chien à la main, l’ergot de la came s’engage dans un cran du barillet et le repousse vers le haut, amenant l’une des cartouches chambrées face au canon. L’arme est dite à simple action, c’est-à-dire que seul l’armement manuel du chien entraîne le fonctionnement. En pressant la détente, le chien massif est libéré et va frapper l’arrière du percuteur, du classique. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est qu’en fin de course la tête du chien fait pression sur un bloc mobile à l’arrière du rempart de culasse dans lequel est logé le percuteur. Ce bloc en bascule est alors plaqué en force contre l’arrière du barillet et le bloque vers l’avant. Par ce judicieuxdiiux système, qui constitue une véritable culasse mobile, l’étanchéité entre la fin de la chambre et le canon est assurée, évitant la fuite de gaz à ce niveau propre aux révolvers et source d’une forte perte de puissance balistique. Pour éviter tout débattement de l’ensemble mobile du barillet, les pièces de transfert reliant le bras de manoeuvre sont de section carrée et non cylindriques. Pour parfaire le tout, un large ressort plat en lame fixé sur la face interne du haut du cadre vient faire pression sur le haut du barillet dans une gorge de stabilisation. Le canon est vissé sur l’avant du cadre. Il est cylindrique sur 49,5 cm, jusqu’à une bride de maintien vissée sur le prolongement inférieur du cadre faisant sous- garde. Une partie octogonale d’environ 9,2 cm le prolonge jusqu’au cadre fermé. Sa longueur totale est de 63,2 cm – contre 70 pour le modèle du musée de Saint-Etienne. Il est entièrement bronzé au noir de guerre. Sur la partie octogonale repose une planchette de hausse crantée en U dont la base est soudée sur le haut du cadre. Cette base se compose de deux quarts de cercle dans lesquels s’élève la hausse à la demande. C’est le principe inversé de la hausse à cadran. Seul le quart de cercle gauche est numéroté pour les distances de 400, 600, 800 et 1000 m. Le quart de cercle droit comporte seulement les rayures censées donner les distances intermédiaires. Les documents Verney-Carron nous donnent les indications suivantes : « premier cran pour tir à 200 m et
dernier pour tir à 1400 m » . Au final, c’est la hausse primitive de la carabine Javelle qui a été conservée à l’identique, mais une arme de chasse est loin d’avoir besoin d’ord’organes de visée d’une telle portée. Le guidon est une lame lenticulaire brochée sur une embase trapézoïdale. Le canon comporte quatre rayures au pas de 55 centimètre par mètre
d’une profondeur de 2 dixièmes de millimètre. Cela pour un calibre de 9,4 mm, soit un .360. Sous le canon se trouve un tube soudé de 8,4 cm de long pour un diamètre de 8,3 mm. Il s’agit d’un porte-baïonnette ou, plus exactement, d’une fixation pour un couteau de chasse à manche amovible. Ce couteau-baïonnette, réputé avoir été inventé par Lefaucheux, a la particularité de posséder une poignée qui s’enfile sur la soie prolongeant la lame où elle se bloque par encliquetage. Une fois la poignée retirée, la broche cylindrique peut être glissée dans le tube porte-baïonnette, un peu à l’image de celle du MAS 36. La cartouche utilisée est à percussion centrale et du calibre .360. La longueur totale avec la balle en place est de 64 mm pour un poids de 21 g. La balle est en plomb pur, cylindro-ogivale, de 20 mm, avec deux rainures et trois collets, dont seul le collet supérieur est au diamètre. Elle pèse 13 g et est propulsée par 3 g de poudre. Le plus étonnant dans cette munition est l’archaïsme de l’étui :
il se compose d’un culot en laiton semblable à celui des cartouchettes de chasse de 9 mm à percussion centrale antérieures à la Flobert annulaire (cf. hors-série n°10 d’Armes de chasse ( 2017), 2017) « Les calibres lisses oubliés », p.16). Ce culot est surmonté d’un étui primitivement en carton puis en clinquant roulé et
donne un étui de 50 mm sur lequel est sertie la balle. Ces cartouches très spécifiques sont fabriquées uniquement pour cette arme et donc introuvables dans les armureries courantes. Ce sont donc les établissements Verney-Carron qui les commercialisent eux- mêmes, par boîtes de 100 cartouches, de même qu’une pince à sertir et à réamorcer assortie d’un moule à balle à coupe-jet au calibre. On retrouve une cartouche peut- être similaire avec la .360 Minex. Le chargement peut se faire cartouche par cartouche dans le barillet. Mais, pour un chargement hâtif, un chargeur rapide a été conçu : un disque de bois sur lequel est fixé un pivot central cannelé de huit berceaux dans lesquels sont couchées les cartouches. Une simple bande de papier entoure les étuis et les maintient en place. Il suffit de présenter la pointe des balles dans l’ouverture du barillet et de pousser le tout en faisant sauter le lé de papier : le barillet est automatiquement garni. Les données balistiques de l’époque avec de telles munitions ne sont pas données par Verney-Carron, qui se contente d’indiquer que la balle traverse, à 200 m, une pièce de bois de 20 cm, sans en préciser l’essence ni la dureté, pourtant ô combien différente selon qu’il s’agisse de chêne ou de sapinsapin, de bois sec ou vertvert. Le pontet est massif et comporte un large redan sur l’avant. Il s’agit d’un repose-paume pour bien caler la main gauche lors de la manoeuvre de chargement, les accidents étant fréquents avec ce genre d’armes où la main glisse trop facilement vers la détente.
Sobre, mais joliment finie
La mise en bois est soignée, dans un bois de noyer veiné de droit fil. Un tigrage à la ficelle sur la crosse et le devant vient agrémenter l’ensemble qui bénéficie d’un vernissage final. La crosse est à poignée droite sans quadrillage. Le devant n’est pas quadrillé non plus, mais se termine par une capuche en corne de buffle noire. Au centre de cette capuche, un évidement équipé d’un tube en bronze fileté est destiné à recevoir une vis moletée de blocage pour un appareil de type bipied de pointage à longue distance. La couche est garnie d’une plaque de fer galbée à retour au talon. Elle est tenue par deux vis à large tête joliment guillochées, ce qui confirme encore la vocation non militaire de l’arme. L’équipement est complété par deux grenadières porte-bretelle.
Le poids total de l’arme, sans munitions, est de 3,740 kg – contre 3,700 annoncés au catalogue Verney-Carron et 3,960 pour le modèle du musée de Saint-Etienne. Dès sa mise sur le marché, la carabine a été proposée en deux versions : un modèle « Acier bronzé noir de guerre inoxydable » et un modèle « Riche », pour un prix de 250 francs en 1883 pour le premier et 300 pour le second – vraisemblablement celui que nous avons eu en main étant donné la qualité de ses finitions. A titre comparatif, Verney-Carron proposait à la même époque un fusil double Lefaucheux d’entrée de gamme, mais à canons en acier fondu, pour 70 francs et, à l’autre bout de la gamme, les trois versions du hammerless modèle 1876, alors l’élite de la fabrication, pour 600, 800 et, pour le modèle Riche, 1 000 francs. Combien de ces « carabines mitrailleuses » sont- elles sorties des ateliers VerneyCarron ? Il est absolument impossible d’avancer un chiffre précis. Tout laisse supposer que la fabrication resta limitée à la seule année 1883. Peut- être quelques comman des confidentielles ultérieures furent- elles passées. En tout cas, la carabine n’apparaît plus dans le catalogue de 1892, Verney- Carron se contente de diffuser des carabines à répétition Marlin et Winchester modèle 1886. Une centaine d’armes tout au plus ont été fabriquées. Il s’agissait déjà d’un modèle obsolète à sa sortie d’atelier en raison de sa munition si particulière. C’est dire l’inexistence de son intérêt pour la chasse aujourd’hui. En revanche, pour la collection, sa valeur est absolument inverse : c’est une pièce de tout premier choix, d’une grande rareté, propre à ravir le plus exigeant des amateurs.