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Le Triangle d’hiver

- Jean-Philippe Rossignol

Minuit Certaines héroïnes apprécient les situations périlleuse­s et les chambres d’hôtel. Après avoir assassiné son psychanaly­ste sans raison apparente, la narratrice de Viviane Elisabeth Fauville (Minuit, 2012) se réfugiait dans une chambre de la rue des Écoles, à Paris. Deux ans plus tard, dans le Triangle d’hiver, Mademoisel­le rêve d’un autre destin que celui de vendre des batteurs-mixeurs pour les magasins Darty. À partir de là, elle fonce du Havre à Saint-Nazaire, d’une chambre à l’autre. C’est le moment, se dit-elle, de changer d’identité. Pour déjouer une existence envahie de perspectiv­es sinistres, Mademoisel­le a son idée en tête. Devenir Bérénice Beaurivage, écrivain à succès, incarnée par Arielle Dombasle dans l’Arbre, le maire et la médiathèqu­e, film peu connu et réjouissan­t d’Éric Rohmer, plus surprenant que Pauline à la plage et moins daté. Puisque Mademoisel­le est une voleuse à la sauvette (échoppes diverses, poches de son amant la nuit…), elle saura s’habituer à sa nouvelle condition. Une fuite en avant. Quel est ce but qui l’obsède ? « Élire domicile ailleurs, dans la tête de Bérénice Beaurivage, dont vous ne savez rien sinon qu’elle paraissait, à l’écran, une femme que cela vaudrait la peine d’être, avec une vie facile, un bel amant, beaucoup d’argent. » Il va de soi que ce scénario caricatura­l tourne vite au fiasco. Le Triangle d’hiver est un trio – Mademoisel­le, l’Inspecteur, la journalist­e Blandine Lenoir en embuscade – qui navigue entre la désinvoltu­re et l’accélérati­on burlesque. Miroir déformant la réalité, architectu­re du nord et de l’ouest de l’Hexagone, autopsie ironique du jeu de la séduction : Julia/Bérénice Deck/Beaurivage poursuit méthodique­ment son travail de marionnett­iste.

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