Melik Ohanian
Centre régional d’art contemporain / 4 juillet - 21 septembre 2014 Au Centre Régional d’Art Contemporain, se déploie sur deux étages un vaste projet de Melik Ohanian. Stuttering dresse le portrait actuel du travail de l’artiste. Le parcours fait d’associations perturbe l’unité spatio-temporelle de l’exposition. Ainsi sont mêlés histoires personnelles et souvenirs collectifs, retranscriptions plastiques d’archives et projections dans le futur. L’artiste interroge également notre compréhension du monde. Des dispositifs en dévoilent la face cachée : il matérialise des données physiques intangibles, rend visible des proximités lexicales et immortalise des faits historiques trop vite oubliés. Stuttering s’ouvre sur quatre photographies présentées sur des caissons lumineux. Un homme y opère un mouvement vers l’avant et revient à son point de départ ( Return From Memory). Ce sursaut réflexif de l’image se répète tout au long de l’exposition à travers des oeuvres poétiques et politiques, autant intimes qu’universelles. Parmi ces saccades, l’artiste place des « éléments-guides » qui créent des liens entre les salles de l’exposition. La série Word(s) regroupe des black lightbox qui ponctuent les espaces où clignotent des mots hybrides polysémiques : (G)HOST, (T)HERE, TI( M) ES. Ce déplacement entre une vision immédiate des oeuvres et leur projection dans un temps différé modèle l’ensemble de l’exposition. L’artiste traverse les époques : projection en trois dimensions de photographies de femmes au travail dans les années 1940 ( Girls of Chilwell Suspended Acting), modélisation scientifique d’un espace futuriste ( Modelling Poetry), réappropriation de photographies prises par son père (Red Memory). Untitled, moulage d’un porte-voix à l’échelle 1 dont le pavillon est soudé au socle, désigne une problématique transversale de l’exposition. Des pans de notre histoire collective oubliés ou refoulés ressurgissent dans le réel – celui de l’exposition. L’artiste prolonge l’existence de l’ouvrage Mémoires du génocide arménien de Janine Altounian destiné au pilon, achète les invendus, en archive numériquement le contenu, détruit les exemplaires et expose les restes déchiquetés aux côtés des photographies du carnet de son père ( Pulp Off). Il matérialise des données physiques impalpables comme les intervalles de temps ( Figure of Interval), les variations de température ( Transvariations, 1882-1883) ou les ondes sismiques ( Earth Partitions). À l’étage, le Datcha Project, initié en 2005, est un lieu de non-production créé par l’artiste dans un village arménien. Chaque témoignage de ce qui s’y déroule est diffusé avec un délai de cinq ans. Cette visibilité exceptionnelle pour Stuttering en fait une pièce maîtresse. Reprise à grande échelle des problématiques soulevées par Melik Ohanian, Datcha Project ancre son oeuvre dans une réalité construite à la mesure d’une temporalité et d’une diffusion maîtrisées. Melik Ohanian’s enormous project Stuttering takes up two floors at the Centre Régional d’Art Contemporain. A kind of mid-career reflection (he began working in the 1990s), it provides a portrait of his work today. The exhibition path and its internal logic disrupt the exhibition’s spatio-temporal unity. It mixes personal history and collective memory, archival visual retranscriptions and projections into the future, as Ohanian also interrogates our comprehension of the world, using various means to reveal its hidden face, materializing intangible physical data, rendering lexical connections visible and immortalizing historical facts that are too quickly forgotten. Stuttering begins with four photos
Girls of Chilwell Suspended Acting), the scientific modeling of a futurist space ( Modeling Poetry) and a reappropriation of photos taken by his father ( Red Memory). Untitled, a life-sized cast of a megaphone whose bell is welded to the pedestal it stands on, indicates a problematic that runs through throughout the exhibition. Whole sections of our collective history, whether forgotten or repressed, resurface in the light of the exhibition. Ohanian kept the book Mémoires du génocide arménien by Janine Altounian from being pulped out of existence. He bought out the publisher’s stock, scanned and digitized the contexts, destroyed the original copies and displayed the shredded remains next to photos of his father’s notebook ( Pulp Off). He gives material form to impalpable physical data such as intervals of time ( Figure of Interval), variations in temperature ( Transvariations, 1882-1883) and seismic waves ( Earth Partitions). Upstairs, the Datcha Project, launched in 2005, is a non-production site this artist created in an Armenian village. Each eyewitness account of events there is released with a five-year lag. The exceptional visibility of Stuttering makes it a masterwork. A large-scale version of the problematics Ohanian is grappling with, Datcha Project anchors his work in a reality commensurate with his perfect mastery of temporality and circulation.
Translation, L-S Torgoff