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SOLITUDE DE BARTHES

- Bernard Comment

Écrivain et éditeur, directeur de la collection « Fiction & Cie » au Seuil, Bernard Comment souligne combien la violence et la solitude sont constituti­ves de la vie et de l’oeuvre de Roland Barthes.

Nul doute que l’idée de centenaire aurait amusé Roland Barthes, il y aurait peut-être même consacré une mythologie, dans le ton et la prolongati­on de celle portant sur « L’écrivain en vacances », et aurait démontré l’artifice des commémorat­ions qui prennent une date sans substance (l’anniversai­re d’un mort) pour enclencher la grande messe mémorielle. Pourtant, toute mythologie a aussi son versant positif, en la circonstan­ce celui de permettre de prendre la mesure de ce qui reste de l’oeuvre, et aussi de ce qui reste de la résistance à cette oeuvre.

POURQUOI TANT DE HAINE ?

En effet, derrière les articles de presse presque tous dithyrambi­ques consacrés à la forte et décisive biographie de Tiphaine Samoyault (1), pointe souvent une hostilité à peine voilée à Roland Barthes lui-même et à ses supposés excès. On lui reproche la fameuse « mort de l’auteur » (notion qui a dû faire réellement très peur pour revenir avec autant d’insistance), un antihumani­sme, ou des formules byzantines, un jeu trop libre avec les concepts, des emprunts inventifs et donc audacieux aux sciences humaines, des néologisme­s, bref, une anormalité. Ou pire : une indiscipli­ne. Ceux qui l’ont connu et côtoyé gardent le souvenir d’une personne douce, prévenante, délicate, enjouée. Il l’était, en effet, et sa voix le dit, le fait entendre. Mais dès le début, Barthes a aussi suscité de vives attaques, et des formes tenaces de haine qui ont connu leur acmé avec la polémique sur son livre consacré à Racine sans toutefois vraiment faiblir par la suite. Le deuil de sa mère, son apparition dans les Soeurs Brontë d’André Téchiné, ses entretiens ou ses interventi­ons publiques, tout pouvait à tout moment se retourner contre lui dans une guerre menée par les esprits chagrins, inspirés par le « bon sens ». Alors, pourquoi tant de haine ? C’est que, derrière son exquise politesse, sa bienveilla­nce, Barthes était porteur d’une grande violence – sans doute sans le vouloir tout à fait – et d’une absolue solitude. Pour des raisons liées à la maladie (tuberculos­e, sanatorium­s), il n’aura pas pu mener les

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