DÉPASSER LES FRONTIÈRES ?
Vous faites un commentaire assez cinglant du nouveau « logotype » adopté en 2008 par le CNRS. En quoi est-il emblématique de cette perte de la mesure ? En regard de ce logotype du CNRS, je place un bas-relief attique qui montre Athéna appuyée sur sa lance, fichée à la base de l’une de ces bornes qui, sur le stade, marquaient les points de départ et d’arrivée. La déesse grecque est gardienne des limites. Non pour contraindre le monde, mais pour le faire exister : la limite n’est pas conçue comme l’endroit où une chose s’arrête, mais comme ce qui la tire de l’informe, la rend présente. Le logo du CNRS, lui, affiche ce slogan : « Dépasser les frontières » (« Advancing the frontiers » en version internationale). Selon Une caractéristique dominante de notre monde est, comme l’avait déjà compris Durkheim, une division du travail poussée à l’extrême. Pour s’insérer dans ce système général de la division du travail, chacun doit accepter d’accomplir une tâche très spécialisée ou très étroite et se confier, pour tout le reste, à ce que le travail d’innombrables autres lui fourniront. La production et la consommation s’en trouvent augmentées. Quant à l’équilibre de la personne, c’est une autre histoire. En fait, une bonne partie du temps libre est employée à compenser, autant que faire se peut, les déséquilibres engendrés par une vie professionnelle et quotidienne qui ne sollicite que quelques-unes de nos facultés, et place les autres sous l’éteignoir. Cependant, les tropismes induits par la division du travail sont si puissants que, même dans le loisir, le cloisonnement des facultés se poursuit. Une image caricaturale en est donnée, comme vous le relevez, par l’emploi de moyens de transport mécanisés afin de se rendre sur les lieux où l’on fournira à son corps l’agitation dont les moyens de transport mécanisés le privent. Et cette agitation, mieux vaudra l’obtenir avec l’aide de diverses machines. En effet, notre rapport au monde est si médiatisé par les objets industriels que lorsque ces derniers viennent à manquer, c’est comme si le