Art Press

Le Roman de Bolaño

- Sophie Pujas

Les Éditions du Sonneur Rien de plus sans-gêne que les personnage­s de roman. Ils s’invitent sans crier gare dans la vie de leur auteur. Mais ils prennent aussi racine dans celles de leurs lecteurs, jusqu’à les hanter. Le Roman de Bolaño joue de cette insolente vitalité des êtres de papier. Cet hommage ludique, fervent sans verser dans la solennité, a été écrit à quatre mains par un grand lecteur de l’écrivain chilien (Éric Bonnargent) et par un néophyte en la matière (Gilles Marchand). Sous forme épistolair­e, le roman met en scène les échanges entre deux êtres qui semblent se télescoper par hasard. Pierre-Jean Kauffmann, amnésique et terrifié par ce qu’il soupçonne de son passé, ne trouve d’apaisement à ses désespoirs qu’en parlant aux pigeons ou en jouant les taxis bénévoles. « Est-ce que j’ai fui la réalité, ou est-ce que c’est elle qui m’a fui ? », s’inquiète-t-il. Un beau jour, il trouve dans un livre abandonné par un client l’adresse d’un certain Abel Romero – héros policier d’Étoile distante de Bolaño. Troublé, il engage une correspond­ance. D’abord interloqué, l’autre lui répond, et finit par admettre qu’il est un personnage à son insu… Lui, au contraire, est encombré d’un passé trop présent. Mais la rencontre n’a rien de fortuit. Pas à pas, et tandis que le récit flirte avec le roman noir, ils cherchent ce qui les lie. Chacun devra affronter ses fantômes propres. « Il y a toujours un minotaure qui rôde dans les égouts de nos âmes: tant que nous ne l’aurons pas affronté, il nous empêche de trouver la paix. » Les monstres tapis et les racines du mal : la question est bien sûr au coeur de l’oeuvre de Bolaño. Les deux auteurs s’y confronten­t avec le sérieux que leur jeu requiert. Une célébratio­n du bonheur d’être lecteur, accueillan­te à qui n’aurait pas lu les pages du maître.

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