Art Press

BORIS GROYS

- interview par Ingrid Luquet-Gad

Nous continuons à considérer l’art en tant que spectateur­s, alors que nous en sommes désormais les acteurs. Tel est le constat dressé par Boris Groys, qui poursuit : qu’est-ce qu’un monde dans lequel les créateurs d’images sont quantitati­vement plus important que les spectateur­s ? Pourquoi l’art a-t-il quitté son domaine propre pour investir l’ensemble des dimensions de l’existence ? Philosophe et critique d’art, Boris Groys vient de publier En public.

Poétique de l’auto-design (PUF), recueil d’essais qui revendique­nt, pour l’art, une poétique, et, pour la pensée, un matérialis­me.

Au tournant du 21e siècle, l’art a quitté l’ère de la consommati­on de masse pour entrer dans un paradigme nouveau : celui de sa production de masse. Pour Boris Groys, les médias visuels ont créé une agora globale au sein de laquelle l’individu doit élaborer sa propre image en générant photograph­ies, vidéos et textes. Cette pratique de l’« auto-design » et de l’auto-documentat­ion permanente, où le contenu abonde tandis que l’attention fait défaut, inscrit l’art dans la culture de masse: l’artiste d’aujourd’hui partage l’art avec le public comme il le partageait autrefois avec la religion ou la politique. Comme au temps des avant-gardes historique­s, il est possible, voire urgent, de penser le réel à partir de l’art, car la réalité est déjà esthétisée, et il n’y a plus de vie nue.

ILG

Dans l’introducti­on au livre, vous avancez que l’attitude esthétique n’est pas adaptée au monde dans lequel nous vivons. Votre argument principal est que la conception du spectateur qu’elle implique n’existe plus : avec l’apparition et l’essor des médias visuels au cours du 20e siècle, chaque individu est devenu lui-même producteur d’images plutôt que d’en être le consommate­ur. Pouvez-vous expliciter ce point? Dans son article intitulé « Avant-garde et kitsch » (1939), Clement Greenberg prédisait la disparitio­n de la figure classique du spectateur éduqué disposant de suffisamme­nt de temps libre pour pouvoir s’adonner à la contemplat­ion attentive de chaque oeuvre. L’esthétique présuppose cette attitude désin-

 ?? Digital video ?? Paul Chan. « Sade for Sade's Sake ». 2009. Vidéo digitale. 5h45 en boucle. (Court Greene Naftali, New York ; Ph. G. Blank).
Digital video Paul Chan. « Sade for Sade's Sake ». 2009. Vidéo digitale. 5h45 en boucle. (Court Greene Naftali, New York ; Ph. G. Blank).

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