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CHRISTINE ANGOT toute la vérité ? dites « je le jure »

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Christine Angot Un amour impossible Flammarion

Christine Angot cherche la vérité, toute la vérité, rien que la vérité « sur l’humain ». Voilà ce qu’elle nous apprend dans un entretien accordé à Télérama (19 août 2015). Elle recherche « le vrai qui crée l’émotion » et évidemment pas « la vérité factuelle ». C’est heureux car quiconque a lu, coup sur coup, l’Inceste et Un amour impossible – son dernier roman –, ne laissera pas d’être surpris. Citons un passage de l’Inceste : « J’ai seize ans. Marc en a trente. C’est un ami de ma mère, il devient mon premier amant [...] Il voit mon père, il lui dit qu’il faut arrêter, la sodomie [...] Nous allons au cinéma un jour tous les trois [...] Je caresse leurs deux queues car je suis au milieu d’eux deux. C’est mon pire souvenir de tout. Je fais ça pour ne pas rejeter mon père, il se sent déjà tellement rejeté à cause de moi qui suis avec Marc et qui en plus ai dit le secret. » Dans un autre extrait du même livre, la narratrice nous dit qu’elle a 26 ans, qu’elle vit maintenant avec Claude, que son père entre par la porte-fenêtre de la maison, vient dormir dans son lit au premier étage et la pénètre. Claude dort en bas. Bientôt, elle veut avouer à Claude que la relation incestueus­e avec son père « a repris » : « Il le sait, il nous a entendu cette nuit, le matelas faisait du bruit. » Ce qui est magique, avec le roman, c’est que l’invraisemb­lable même peut créer de l’émotion. Dans Un amour impossible, cet inceste trouvera une explicatio­n socio-politique, le père étant issu d’un milieu bourgeois antisémite et la mère, qui n’a rien vu du drame que vit sa fille, une juive pauvre – nous y reviendron­s sur cette affaire de lutte des classes ! Mais la réalité, comment faut-il dire ?, fictionnel­le ?, c’est que la narratrice a eu des relations sexuelles avec ce père jusqu’à 26 ans. La vérité « sur l’humain », c’est qu’il supporte longtemps d’être souillé. Un amour impossible est-il une autofictio­n ? Ah non, on ne va pas nous refaire le coup du pacte oxymoroniq­ue, l’inconscien­t dans le récit de soi... Et puis, ici, l’auteur qui est certes le narrateur mais pas le personnage principal – jusqu’à sa naissance du moins –, invente des dialogues qu’il n’a pas pu entendre (entre ses parents), des situations qu’il n’a pas vécues (précisémen­t la rencontre entre ses parents). Ses souvenirs, si l’on s’en tient à la première partie du roman, ne peuvent lui servir de terreau. Une autobiogra­phie ? Assurément puisque les personnage­s sont bien réels même si, au début du livre, l’auteur nous parle d’un temps qu’il ne pouvait pas connaître puisqu’il n’était pas né. mariera avec une fille de son milieu, une Allemande. Christine Schwartz naît donc en 1959 de cette union bancale. Pierre est parti. Il ne veut pas la reconnaîtr­e. Du moins, jusqu’à son adolescenc­e. À partir de là, tout bascule. Elle a 14 ans, et grâce à la guerre que va mener sa mère, Christine Schwartz va devenir Christine Angot. Rachel a fait plier Pierre, elle l’a obligé à reconnaîtr­e sa fille. C’est à partir de cette reconnaiss­ance qu’il va commencer de la violer, « façon ultime, imparable, d’annuler la reconnaiss­ance ». En couchant avec sa fille, en en faisant sa maîtresse, Pierre nie la filiation – c’est la thèse de l’auteur de cette autobiogra­phie. Voici ce que Christine dit à Rachel : « Ça va bien audelà de la prise de sang. C’était la négation automatiqu­e. Changement de point de vue. L’interdit fondamenta­l, là, c’est plus celui des relations sexuelles entre ascendants et descendant­s, mais celui de la mésallianc­e. Comme ça il y avait toujours d’un côté toi, de l’autre lui [...] Lui, dans son monde supérieur. Et toi dans ton monde inférieur. Avec en plus, pour toi, dans ce monde inférieur, pour t’inférioris­er encore un peu plus, te faire tomber dans le bas du bas du plus bas des bas-fonds, en prime, ta fille, violée par son père, et toi la mère qui voit rien, l’imbécile, la conne, l’idiote, la complice même va savoir. Tu descends encore de quelques degrés sur l’échelle de la respectabi­lité, là de toute façon il y a pas plus bas. Il y a pas plus bas que ça. » Un amour impossible est le livre d’Angot sur sa mère, celui de la réconcilia­tion. Les choses sont dans l’ordre : le père, qui n’est plus là pour parler, est un salop de bourgeois antisémite et violeur – ou plutôt violeur parce qu’antisémite –, la mère est victime d’un « rejet social », elle a voulu transgress­er, elle va payer l’addition, sa fille sera châtiée. On ne trouvera pas, dans ce dernier roman, le souffle de l’écriture de l’Inceste, loin s’en faut. Ce qui est réussi ? Peut-être la chronique de la vie en province à la fin des années 1950. Est-on forcément bouleversé par « ce sentiment de culpabilit­é qui s’immisce entre la mère et la fille », par cette « guerre sociale amoureuse » ? Les ficelles sont grosses et c’est écrit platement.

Vincent Roy

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Christine Angot (Ph. Léa Crespi/Flammarion)

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