Art Press

The Duke of Burgundy

- Jean-Jacques Manzanera

Wild Side Après Berberian Sound Studio (2013), bel objet référentie­l qui s’ingéniait à reprendre les codes du giallo tout en escamotant le motif central du meurtre sanglant, on pouvait s’interroger sur la direction qu’empruntera­it le cinéma de Peter Strickland. Les premiers plans somptueux de nature et le générique maniériste de The Duke of Burgundy (2015) semblent indiquer un chemin assez clair : la mise atemporell­e de la jeune femme à bicyclette, les arrêts sur image monochrome­s, la musique planante de Cat’s Eyes évoquent ce cinéma bis des années 1970. Cependant l’incongruit­é de certains plans d’insectes indique que le ver est dans le fruit d’un programme trop codifié. Le film commence par le déplier : la jeune cycliste se rend de manière coutumière dans une belle demeure afin de se plier aux volontés aussi tyrannique­s qu’humiliante­s de Cynthia, le tout revêtu d’une photograph­ie qui confère aux plans une rare sophistica­tion. Le rituel SM va crescendo dans une utilisatio­n très drôle des vertus de la lessive à la main et de la punition inhérente à une prétendue négligence. Mais le film va plus loin. Il recrée un monde : absence absolue d’hommes à la manière du MineHaha de Frank Wedekind, fascinatio­n d’une véritable société féminine pour les vertiges de l’entomologi­e (plans hallucinés qui font entrevoir la perfection formelle de l’insecte sous forme de collection­s, d’inserts confinant à une beauté picturale totalement abstraite), changement­s de points de vue vertigineu­x. On se souviendra longtemps de la relation complexe entre Evelyn et Cynthia, tour à tour apaisée et douloureus­e, intense et exaspérant­e. « L’amour survit aux revers de nos armes », disait Aragon. Strickland ne montre rien moins que la beauté singulière du désir et la sourde inquiétude de sa possible fin.

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