Des musées dans les pays du Golfe Museum Realities in the Gulf States interview d’Alexandre Kazerouni par Anaël Pigeat
Museum Realities in the Gulf States
Après plusieurs années de voyages d’étude au cours desquels il a rencontré la plupart des acteurs des musées au Koweït, au Bahreïn, au Qatar et aux Émirats arabes unis, Alexandre Kazerouni publie son livre le Miroir des Cheikhs (PUF). Politologue spécialiste du monde musulman contemporain et des pays du pourtour du golfe Persique en particulier, il propose son analyse d’un thème mal connu dans le monde occidental. L’art au service de la politique : le sujet est ancestral, et il est aujourd’hui d’une actualité brûlante.
Dans le Miroir des Cheikhs, Alexandre Kazerouni examine, à travers le filtre des musées, la situation politique des Émirats arabes unis et du Qatar d’un point de vue à la fois local et international. Il fait la distinction entre ce qu’il appelle les « musées-racines » nés dans les années 1970, et les « musées-miroirs » qui sont apparus, en parallèle de ces premières institutions, à partir des années 1990. Il laisse délibérément de côté la question du marché de l’art à Dubaï qui fonctionne, pour lui, selon des principes et des enjeux à part. Les musées que l’on découvre dans le Miroir des Cheikhs sont des outils politiques qui conduisent surtout au renforcement de l’autorité des différentes familles régnantes.
MUSÉES-RACINES/MUSÉES-MIROIRS
Les institutions que vous définissez comme les « musées-racines » ont succédé dans les années 1970 aux « clubs culturels » de la première moitié du 20e siècle. S’agissait-il, dans les musées-racines, de légitimer des traditions existantes, ou d’écrire une histoire ? Ces établissements que j’appelle des musées-racines sont des musées d’archéologie et d’ethnographie locales destinés à un public national. On en compte aujourd’hui une cen- taine dans ces principautés du golfe Persique que sont le Koweït, le Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis. Leur création remonte au début des années 1970, au moment des indépendances. Il fallait alors inventer des traditions pour consolider des États aux frontières contestées par leurs grands voisins, les enraciner dans les territoires jusqu’alors protégés par les Britanniques de la prédation saoudienne, iranienne, irakienne mais aussi égyptienne. Il fallait aussi unifier des populations certes de petite taille mais très composites. Du fait de leur position géographique à la marge orientale du monde arabe et
en raison de leur nature portuaire, les principautés ont une population nationale aux origines multiples. Trois grandes composantes peuvent être distinguées qu’une hiérarchisation sociale par la lignée a conservées jusqu’à aujourd’hui. Au sommet de la pyramide se trouvent les citoyens « purs » ou « authentiques », comme ils se nomment eux-mêmes, deux termes qui traduisent le mot asil. Ce sont les membres des grandes tribus originaires du centre de la péninsule Arabique, à commencer par les cheikhs et les cheikhas des familles régnantes. Puis viennent les descendants d’immigrés économiques arrivés du sud de l’Iran au tournant du 20e siècle et enfin les descendants d’esclaves originaires d’Afrique noire orientale. En comparaison, très peu d’Indiens ont été naturalisés. Mais il y a autre chose dans ces premiers établissements que ces missions somme toute assez classiques pour un musée national : les muséesracines ont directement participé aux luttes de pouvoir, parfois violentes comme au Bahreïn, entre marchands et cheikhs au sortir du régime des protectorats britanniques. Les riches marchands de perles locaux de l’ère pré-pétrolière avaient été les grands perdants, à la fois économiques et politiques, de l’ordre colonial puis pétrolier, tous deux mis en place par les Anglais. À l’inverse, la plupart des familles régnantes d’aujourd’hui doivent la consolidation de leur assise aux Britanniques et aux hydrocarbures. Dans ce cadre, des années 1910 aux années 1950, durant les décennies de la transition vers l’économie pétrolière, les marchands prirent l’initiative de créer des « écoles modernes » puis des « clubs culturels » pour s’opposer au couple formé par les cheikhs et les Britanniques. Sous couvert d’activités artistiques allant des concours de poésie aux représentations théâtrales, ces « clubs culturels » privés furent des lieux de mobilisation de la jeunesse et de diffusion des idées anticoloniales et antibritanniques d’un nationalisme arabe émanant du Caire. Une fois la décision de se retirer du golfe Persique prise par les Britanniques en 1967, ces derniers aidèrent ceux qui allaient devenir les souverains des principautés à détruire ces embryons d’espaces publics. Financés par les cheikhs grâce au pétrole, et développés au début avec l’aide d’experts britanniques, les musées-racines ont permis de ravir leur centralité culturelle aux clubs des marchands.
Comment définissez-vous ces institutions que vous appelez « musées-miroirs » ? Des muséesracines, il continue à s’en créer au- jourd’hui dans toutes les principautés. Les années 1980 ont été leur âge d’or. Mais au Qatar et à Abu-Dhabi, et là uniquement, un autre rapport au musée s’est fait jour depuis les années 1990, rapport qui est venu se juxtaposer au précédent : le parc des musées s’est dédoublé. À côté des musées-racines se sont multipliés ce que je nomme des musées-miroirs. Le plus emblématique d’entre eux est ce fameux Louvre Abu-Dhabi qui doit ouvrir en 2018. Leur public prioritaire n’est plus national, mais occidental. Ils visent à projeter en Europe et en Amérique du Nord une image du monde musulman en adéquation avec les attentes des pays où, à travers l’immigration, l’islam est devenu un enjeu de politique intérieure. Pour produire cet effet miroir, les collections formées correspondent aux catégories d’objets les plus valorisés par le marché et les grands musées d’Occident, à commencer par l’art islamique. Mais, plus encore, c’est à des Occidentaux qu’est confiée la création de ces établissements, du bâtiment au récit mis en scène. De tout le processus, les nationaux spécialisés dans les affaires culturelles, formés dans les musées-racines, sont soigneusement exclus. C’est là le point commun entre musées-miroirs et musées-racines qui, du contenant au contenu, se contredisent : l’exclusion politique. Tandis que les musées-racines ont servi à marginaliser les marchands, les musées-miroirs privent d’accès à l’international les classes moyennes fonctionnarisées, à l’heure où la survie du régime se négocie de plus en plus directement avec les puissances militaires et technologiques d’Occident.
Qu’en est-il de l’écriture de la modernité dans cette région du monde? L’écriture de la modernité artistique s’est faite en lien étroit avec les musées-racines, partie culturelle de l’État moderne. Comme le reste de l’administration publique de la culture, ces musées ont employé, dans les années 1970 et 1980, les nationaux éduqués qui avaient une pratique ou un goût artistique. La plupart de ces artistes modernes de la côte sortirent de l’ancien petit peuple des ports qui comprenait les artisans et non des grandes tribus se réclamant du désert. Dans cette bureaucratie culturelle liée aux musées, ces nationaux ont trouvé des salaires dans un environnement lié à l’art, des bourses de formation à l’étranger, mais aussi le moyen d’exposer leur travail. Le Musée national du Koweït jusqu’à sa destruction partielle pendant la guerre de 1991, le Musée national du Qatar jusqu’à sa fermeture en 2006, ou le Musée national du Bahreïn jusqu’aux années 2010 avaient des sections dévolues à la création contemporaine locale. Le Musée d’art de Sharjah et le Musée d’art moderne du Koweït appartiennent à la catégorie des musées-racines. Les trajectoires du plasticien émirien Hassan Sharif (1951-2016), membre fondateur de la biennale de Sharjah, ou celle de Yousef Ahmed (1955-), le plus connu des peintres qatariens, illustrent bien ces trajectoires sociales ascendantes d’artistes issus de l’ancien petit peuple des ports et passés par les ministères. Avec les musées-miroirs, ces canaux ont perdu leur centralité locale et leur visibilité à l’étranger. Les musées-miroirs emploient massivement des Occidentaux, et les artistes locaux qu’ils contribuent à promouvoir sont de plus en plus des enfants des familles les plus riches et des tribus affidées à la famille régnante, quand ce ne sont pas des cheikhs et des cheikhas.
MUSÉES, MARCHÉ, CRÉATION : DES SUJETS DISTINCTS ?
Vous parlez peu du marché de l’art dans votre livre, car ce sont, selon vous, des enjeux et des acteurs différents des musées. Or il me semble que c’est pourtant aujourd’hui un enjeu majeur dans la région. La création contemporaine vous semble-t-elle aussi un enjeu à part ? Ce marché est très important. Il a engendré une scène artistique tout à fait inédite parce qu’elle rassemble Arabes, Iraniens et Pakistanais, trois mondes artistiques qui, au 20e siècle, se sont superbement ignorés. Mais ce marché à débordement artistique inédit est localisé à Dubaï, très tourné vers l’Iran, le Pakistan et l’Arabie saoudite. Il est régional quand les musées-miroirs ont une obsession de l’Occident. Par ailleurs, ce marché n’est pas celui auquel s’approvisionnent les musées-miroirs du Qatar et d’AbuDhabi. Leurs collections nourrissent d’abord les galeries et les salles de vente de Paris, de Londres et de New York. Il y a bien un Musée arabe d’art moderne au Qatar, le Mathaf, mais sa collection a été formée pour l’essentiel avant la naissance du marché de Dubaï.
Dans ses éditions récentes, la Biennale de Sharjah, dont le commissariat était assuré par des femmes du monde non occidental (Yuko Hasegawa en 2013, Eungie Joo en 2015, Christine Thome en 2017), exprimait une attention à des contextes locaux dans un monde globalisé. N’est-ce pas une
Les dynamiques de Sharjah sont propres à cet émirat en raison de l’idéologie anticolonialiste de type nassérien encore portée par son émir à ce jour et à la singularité de l’histoire de cette famille. Mais cette présence de l’Asie me semble distincte de celle qui existe à Dubaï : ce n’est pas le fruit de l’intérêt des Extrême-Orientaux pour les Émirats, mais plutôt de celui de la cheikha Hoor, qui a étudié plusieurs langues asiatiques, pour l’Extrême-Orient. Cela rejoint ce que je décris à propos des musées du Qatar et d’Abu-Dhabi : des membres des familles régnantes deviennent des acteurs du monde culturel, alors que ces fonctions étaient jusque-là assumées par des intermédiaires de la classe moyenne.
RENFORCER L’AUTORITÉ DES ÉTATS
Plutôt que le 11-Septembre ou les Révolutions arabes, vous donnez la fin de la Deuxième Guerre du Golfe comme date de passage des musées-racines aux musées-miroirs. En 1991, une coalition internationale menée par les États-Unis permet à l’émir du Koweït de retrouver son trône face à l’Irak. Durant ce conflit, le Musée national du Koweït est en partie détruit, sa collection d’art islamique emportée à Bagdad. De là est née entre 1991 et 1995 l’idée du Musée d’art islamique de Doha, qui est le plus ancien des musées-miroirs et le fruit de la volonté qatarienne de se substituer au Koweït comme nouvelle capitale culturelle du golfe Persique.
Vous montrez la part d’empirisme qu’il y a dans les programmes de construction des nouveaux musées, souvent liés à des rivalités entre émirats. Certains ont été abandonnés après avoir été annoncés, par exemple le muséemaritime de Tadao Ando et le centre des arts vivants de Zaha Hadid. Pour vous, ces musées sont même plus attirants quand ils sont à l’état de projet. Il m’est progressivement apparu que pour faire son oeuvre politique le musée-miroir était plus opérationnel à l’état de projet qu’une fois ouvert au public. C’est sous cet état qu’il est pourvoyeur de contrats de prestation de service distribués à des Occidentaux ainsi intéressés à la survie politique des familles régnantes.
Vous soulignez aussi que ce ne sont là que des illusions pour les Occidentaux qui y voient le reflet de leur propre image. Avec les musées-miroirs, les principautés peuvent offrir à des pays occidentaux la possibilité de mettre en scène,
depuis le monde islamique, leur point de vue sur l’islam et ainsi le légitimer. Cette volonté occidentale de parler d’islam, de participer à la définition de son sens, est directement liée à la sédentarisation de l’islam en Occident via l’immigration. En est née une nouvelle rente pour les principautés, une rente culturelle qu’exploitent le Qatar et Abu-Dhabi.
Vous avancez l’idée que la création de ces musées-miroirs donne lieu au renforcement de l’autoritarisme des États. L’autoritarisme, c’est la restriction de la participation politique par l’exclusion. Or, au Qatar et à Abu-Dhabi, les fonctionnaires nationaux qui sont constitutifs de la classe moyenne sont totalement exclus de la mise en oeuvre des musées-miroirs. Des prestataires de service étrangers, comme l’Agence France-Muséums, leur sont substitués. Et les structures locales qui emploient ces organisations occidentales ne sont pas les ministères de la culture du Qatar et des Émirats arabes unis, mais des agences autonomes directement reliées à des membres de très haut rang des familles régnantes. S’il n’y a pas de muséesmiroirs au Koweït, c’est que cet émirat, qui est le seul à posséder un véritable parlement, est plus démocratique, même si c’est aussi un régime autoritaire. L’adoption des marques culturelles du libéralisme comme le Louvre et le Guggenheim sert aujourd’hui la dérive autoritaire des familles régnantes.
Alors la programmation de ces musées serait accessoire ? Participer de la dérive autoritaire n’est pas incompatible avec la qualité des propositions de contenu qui sont faites. Le projet scientifique du Louvre Abu-Dhabi est, dans son état programmatique actuel, très innovant. Jean-François Charnier, qui en est le directeur scientifique, a progressivement imposé une approche anthropologique de l’universalisme très liée à son attrait pour la préhistoire. Elle est articulée autour du constat étonné des similitudes de forme entre les productions matérielles de l’Homme, dans le temps et dans l’espace, alors même que l’art remplit une fonction de démarcation des groupements humains. Au niveau épistémologique, le musée n’est alors plus un lieu d’illustration des conclusions de l’histoire de l’art, mais une espace de formulation d’hypothèses, une invitation à se pencher vers l’inconnu, tout en restant dans les limites de la rationalité. Alexandre Kazerouni’s book Le Miroir des Cheikhs (PUF) is the result of several years of travel and research during which he met leading museum people in Kuwait, Bahrain, Qatar and the United Arab Emirates. A political scientist whose focus is the contemporary Muslim world and particularly the Persian Gulf countries, he analyzes a subject often poorly understood in the West: art in the service of politics. The question may go back several millennia, but it could not be more timely today. In Le Miroir des Cheikhs, Alexandre Kazerouni examines museums in the United Arab Emirates and Qatar in order to analyze the political situation in these countries from both a local and international angle. He makes a distinction between what he calls “roots museums” founded in the 1970s and the “mirror museums” that began to appear in parallel with these earlier institutions in the 1990s. He deliberately leaves aside the question of the art market in Dubai, which, he says, functions according to a separate set of principles. The museums he discusses in Le Miroir des Cheikhs are political instrumentalities whose purpose is above all to reinforce the authority of the region’s ruling families.
ROOTS MUSEUMS/MIRROR MUSEUMS
The institutions you define as “root museums” emerged in the 1970s as successors to the “cultural clubs” of the first half of the twentieth century. Was their purpose the legitimization of existing traditions, or the construction of a history? What I call “roots museums” are museums of local archeology and ethnology, meant for a local public. There are about a hundred of them in the Persian Gulf principalities, Kuwait, Bahrain, the UAE and Qatar. They were founded in the early 1970s, at the time of independence. Traditions had to be invented to consolidate states whose borders were contested by their bigger neighbors, and root them in these territories that until then had been protected by the British from Saudi Arabia, Iran, Iraq and Egypt. There was also a need to unite these small but highly heterogeneous populations. Due to the geographical position of these principalities at the eastern edge of the Arab world and their history as ports, their inhabitants came from many places. We can distinguish three main population groups, with a hereditary social hierarchy that persists to this day. At the top of the pyramid are the “pure” or “authentic” citizens, to give English translations for the word asil. They are members of the great tribes from the center of the Arabian Peninsula, especially the sheiks and sheikas of the ruling families. Below them are the descendants of economic immigrants who came from southern Iran at the turn of the twentieth century, and then the descendants of slaves from Black East Africa. Very few Indians have been naturalized. In addition to these missions already mentioned, which are pretty standard for any national museum, these first institutions had another function in the context of the power struggles—sometimes quite violent, as in Bahrain—that broke out between merchants and sheiks after the end of the British protectorates. The rich local pearl merchants of the pre-oil era were the big losers, economically and politically, during the colonial and then oil-dependent regimes, both set up by the British. Conversely, most of today’s ruling families owe the consolidation of their power to the British and hydrocarbons. In this framework, from 1910 to the 1950s, during the decades of the transition to the oil economy, the merchants took the initiative of establishing “modern schools” and then “culture clubs” in opposition to the rule of the sheiks and Great Britain. Under the cover of artistic activities ranging from poetry competitions to theatrical performances, these private “culture clubs” served as centers for youth activism and the propagation of anti-colonial and anti-British ideas associated with the Arab nationalism emanating from Cairo. Once the British had decided to withdraw from the Persian Gulf in 1967, they helped those who were to become the sovereigns of these principalities to destroy these embryonic public spaces. Financed by the sheiks, using their oil wealth, and developed, in the beginning, with the aid of British experts, these roots-museums became a way to seize the culturally central role formerly played by the merchants’ clubs.
How do you define what you call “mirror museums”? Roots museums are still being founded today in all the principalities. The 1980s were their golden age. But in Qatar and Abu Dhabi, exclusively, another kind of museum has arisen since the 1990s. The number of museums has doubled. Alongside the roots museums there have been a growing number of what I call mirror museums. The most emblematic among them is the famous Louvre Abu Dhabi, scheduled to open in 2018. They no long appeal to national museum-goers—they want Western visitors. Their aim is to project, in Europe and North America, an image of the Islamic world that meets expectations in these countries where immigration has made Islam an internal political issue. To produce this mirror effect, these museums’ collections correspond to the categories of the objects most prized by the art market and the main Western establishments, starting with Islamic art. Further, Westerners have been put in charge of creating these museums, from the physical plant to the narratives they stage. Local cultural affairs specialists, trained at the roots museums, are carefully excluded from this process. Political exclusion is what the mirror museums and roots museums have in common, despite their contention over cultural containers and content. While the roots museums were meant to marginalize the merchants, the mirror museums deprive the middle class and civil service of international access at a time when the survival of these regimes is more and more directly negotiated with the Western technological and military powers.
How is modernity written in this part of the world? Artistic modernity was written in close connection with the roots museums, cultural arms of the modern state. Like the rest of the public administration of culture, in the 1970s and 80s these museums employed educated locals who had a taste for art or practiced it. Most of the modern artists in the coastal areas came out of the former lower and middle classes, artisans and skilled trades workers, in the port cities, not the great desert tribes. The cultural bureaucracy linked to the museums made it possible for local people to make a living in an artistic environment. They could get scholarships to study abroad and show their work. The Kuwait National Museum, partially destroyed during the 1991 war, the Qatar National Museum, closed in 2006, and the National Museum of Bahrain until recently had departments dedicated to local artists. The Sharjah Art Museum and the Kuwait Modern Art Museum belonged to the category of roots museums. The careers of the Emirati artist Hassan Sharif (1951-2016), a founding member of the Sharjah Bien-
nial, and Yusef Ahmed (born 1955), the best-known Qatari painter, are good examples of the rising social status of people from the former lower classes in the port cities who were supported by the ministries. With the rise of the mirror museums, such people have lost their local centrality and their visibility abroad. The mirror museums employ massive numbers of Westerners, and the local artists they continue to promote are increasingly the sons and daughters of the richest families and tribes loyal to the ruling family, and often sheiks and sheikas.
MUSEUMS, MARKETS AND ART PRODUCTION
In your book you say little about the art market, which, in your eyes, involves different actors and issues than museums. But it seems to me that the market plays a major role in the region today. What about the making of art? Is that, too, a separate issue? The art market is very important. It has engendered a historically unprecedented art scene bringing together Arabs, Iranians and Pakistanis, three artistic worlds haughtily ignored in the twentieth century. But this market and its ar- tistic effects is confined to Dubai and highly oriented toward Iran, Pakistan and Saudi Arabia. It’s a regional market, whereas the mirror museums are obsessed with the West. Further, the acquisitions of the mirror museums in Qatar and Abu Dhabi don’t come from this market. Their collections are mainly drawn from galleries and auction houses in Paris, London and New York. There is, of course, a museum of modern Arab art in Qatar, the Mathaf, but its collection was essentially formed before the emergence of the Dubai market. In recent years the Sharjah Biennial, directed by women from the non-Western world (Yuko Hasegawa in 2013, Eungie Joo in 2015, Christine Thome in 2017), has given special attention to local contexts in a globalized world. Isn’t this an expression of a political position? The dynamics of
Sharjah have to do with the particularities of this emirate, by which I mean the Nasserite anti-colonialist ideology still espoused by its emir and his family’s unique history. But this Asian presence in Sharjah seems to me different than in Dubai. It’s not so much the fruit of Oriental interest in the Emirates but of Sheika Hoor’s interest in the Far East—she studied several Asian languages. This is an example of what I was talking about earlier, regarding the museums in Qatar and Abu Dhabi, wheremembers of the royal family have become major actors in the cultural world, whereas until now this role was played by intermediaries from the middle class.
STRENGTHENING STATE AUTHORITY
Instead of 9/11 in the U.S. or the Arab Revolutions, you consider that the transition from roots museums to mirror museums came with the end of the Second Gulf War. In 1991, an international coalition led by the United States allowed the emir of Kuwait to get back his throne from Iraq. Part of the Kuwait National Museum was destroyed in this conflict, and its collection of Islamic art was taken to Bagdad. This is what gave rise to the idea, between 1991 and 1995, of the Islamic art museum in Doha, the first of the mirror museums and the fruit of Qatar’s desire to take Kuwait’s place as the cultural capital of the Persian Gulf. You demonstrate the part that empiricism plays in the plans for the construction of these new museums, often linked to rivalries between emirates. Some highly touted projects have been abandoned, such as the maritime museum designed by Tadao Ando and Zaha Hadid’s living arts center. You seem to consider that the attraction of such institutions is at its height when they are still in the planning stage. It has become increasingly clear to me that in terms of their political functions, the mirror museums were more operational in the planning stage than when they opened to the public. It’s in that initial stage that they give out contracts to Westerners who thus acquire a stake in the survival of the ruling family.
You emphasize that whenWesterners see a reflection of their own image in these projects, that’s just an illusion. With mirror museums the principalities can offer the Western countries a way to stage, inside the Islamic world, their perception of Islam, and thus legitimize it. This Western yearning to speak of Islam, to participate in shaping its meaning, is directly linked to the fact that immigration has brought Islam into Western societies. This has created a source of rent for the principalities, a cultural rent enjoyed by Qatar and Abu Dhabi.
You suggest that the establish- ment of these mirror museums has help reinforced the authoritarianism of these states. Authoritarianism is the restriction of political participation by means of exclusion. In Qatar and Abu Dhabi, the local functionaries who are part of the middle class are totally excluded from the operating of the mirror museums. Foreign service providers such as L’Agence France-Muséums take their place. These Western contractors are not employed by the offices of the ministries of culture in Qatar and the UAE; they are brought in at the discretion of entirely autonomous agencies directly linked to high-ranking members of the ruling families. There are no mirror museums in Kuwait because it is the only emirate with a real parliament, more democratic than the others, even though it, too, is authoritarian. The adoption of liberal cultural brands such as the Louvre and the Guggenheim today serves the authoritarianism of the ruling families. So what will be shown in these museums is beside the point? The fact that they serve authoritarian aims does not mean that the content of these museums can’t be very good. The planning for the content of the Louvre Abu-Dhabi, at this stage, is highly innovative. Its artistic director, Jean-François Charnier, has gradually gotten it to adopt an anthropological approach to universalism, very much linked to his own fascination with prehistory. It will demonstrate the astonishing formal similarities in humanity’s material production, across time and space, while art’s function will be to demarcate between human groups. Epistemologically speaking, the museum is no longer a site for the illustration of the conclusions of art history; rather it is a space for the formulation of hypotheses, an invitation to privilege the unknown, while respecting the limits of rationality.