RICHARD MILLET son Bernard Menez
Richard Millet Pour Bernard Menez Léo Scheer, 90 p., 15 euros
Pour Bernard Menez est un livre de mauvaise humeur et ce n’est pas son moindre paradoxe que d’utiliser cette figure d’une certaine bonne humeur dans le cinéma français. Menez est un acteur qui n’est probablement pas connu du grand public comme ont pu l’être dans le passé ses ancêtres : Fernand Reynaud, Bourvil, Jean Richard… Mais il a été le corps et le visage qu’ont empruntés deux cinéastes attachés à égratigner la vie quotidienne et quelques conditionnements petitbourgeois des années post-glorieuses en France : Pascal Thomas et Jacques Rozier. Menez est instrumentalisé par Millet. Il en fait un héros pourfendeur des manières de vivre de classes urbaines et « bobos » satisfaites de ce que l’écologie et les villes débarrassées de l’automobile donneraient comme paradis à venir pour un monde où « la glisse » (vélo, skate...) serait ce régime général que Philippe Murray caricatura jadis avec talent. Comme dans des textes antérieurs, Richard Millet se laisse emporter par ses démons ronchonneurs l’autorisant à des généralisations folles qui lui font écrire que la Maman et la Putain traduit les débuts d’une « mainmise historique des femmes sur la question sexuelle ». Naïve réduction de ce chef-d’oeuvre ! On est en droit de tirer du nez devant de telles ronchonneries misogynes. De la même manière, ce que Millet oppose à une génération de comiques ou d’acteurs adoubés par les médias dominants laisse un peu songeur. Son éloge, bien que non dénué d’un peu de mépris pour la bonhommie flasque de Philippe Noiret, me semble trop généreux. Cette indulgence pour des raisons de sociologie ne me semble pas justifier le fait de mettre Noiret dans le même sac que Jean-Pierre Léaud, acteur de génie. Il est vrai que Noiret est une incontestable figure pompidolienne mais j’aurais plus volontiers attendu que Millet s’attarde sur le Michel Bouquet chabrolien. Millet a une particulière passion pour la langue française et il la sert avec grâce. Sa santé pamphlétaire contre l’uniformisation démocratique fait du bien. Quant au modèle qui justifie le livre, Menez – cette gaucherie langdonienne, cette impassibilité keatonienne et ce bégaiement ahuri lointainement hérité de Darry Cowl –, il est brillant et tendre. Et le livre est l’occasion de souligner l’importance comique, donc critique, de deux cinéastes français majeurs. Le livre de Millet réanime les vertus d’une littérature « méchante » oubliée depuis Baudelaire, Bernanos, Léautaud... Richard Millet l’a déjà payé cher. Enfin Millet rappelle la force impure de l’art cinématographique auquel le temps apporte ses révisions salvatrices (telle la réévaluation d’un Louis de Funès). Pourtant, j’aurais tendance à penser, à la différence de Millet, que ce n’est pas le statut d’acteur qui est la chose la plus commune aujourd’hui mais celui d’auteur que tout le monde revendique. Ce livre est un ressassement atrabilaire. Il est aussi la description heureuse de situations vécues, dont la rencontre avec l’éditeur Léo Scheer et Bernard Menez à l’Hôtel Belford. Une certaine rage contre « ce-qui-n’est-plus » produit de fulgurantes synthèses, tel ce résumé des années 1970 au cours desquelles le cinéma offrit quelques chefs-d’oeuvre ! Mais pourquoi diable Richard Millet a-t-il besoin de placer ces années sous le sceau des « femmes qui mènent le bal », alors que ces dernières sont quasi absentes comme cinéastes ?