MARCO GODINHO
Notes sur cette terre qui respire le feu (Ascension des pentes / Messages à l’autre / Exercices de méditation / Noir de souvenirs / Geste d’offrande)
Production Labanque 2017
« Tout était aussi noir et aussi chargé de terreur sournoise pendant la nuit où Laure et moi nous avions gravi les pentes de l’Etna [...] l’arrivée à l’aube sur la crête du cratère immense et sans fond – nous étions épuisés et, en quelque sorte, exorbités par une solitude trop étrange, trop désastreuse : c’est le moment de déchirement où nous sommes penchés sur la blessure béante, sur la fêlure de l’astre où nous respirions. Le tableau de cendres et de flammes qu’André a peint après
que nous lui en avons parlé était près de Laure lorsqu’elle est morte, il est encore dans ma chambre1 ». Ces mots terrifiés de Georges Bataille décrivent, par l’autobiographie, l’expérience dramatique et extatique d’un insaisissable. C’est ce récit qui a invité Marco Godinho – artiste des infinis glissements d’espace et de temps, qu’il observe, déjoue, met en forme, en une poétique et une politique de l’instant – à faire l’ascension du volcan à son tour. Celui-ci organise alors un voyage performatif sur les pentes enneigées du cratère, en février 2017. Il y restera plusieurs jours, cherchant avec sa caméra, dans les brumes roses et bleutées, du coucher du soleil au lever du jour, à plus de 3 000 mètres d’altitude, à créer l’événement d’une authentique rencontre. L’installation vidéo réalisée dans tout le second étage de Labanque est, de manière mimétique, un voyage pour le spectateur qui vivra à son tour l’ascension et la traversée parmi les salles et les indices disséminés (vidéos, fragments, textes, objets…).
Pour son récit protéiforme, Marco Godinho met en scène un personnage philosophique revêtu d’une parka bleue et portant des chaussures de montagne, qui arpente inlassablement les crêtes et les pentes du volcan. Parfois, il apparaît lointain, solitaire et fragile dans l’immensité des paysages volcaniques. Souvent, il est accompagné de chiens errants qui le suivent : il devient alors lui-même un « corps-animal erratique, un être qui vit sans entrave, sans domicile, qui n’appartient à personne et qui décide d’aller à la rencontre d’un ailleurs. C’est pour cela qu’il marche, attend, regarde l’horizon ou l’épaisseur du paysage, avance vers un but inconnu, en une quête essentielle », explique Marco Godinho. Ce marcheur, errant et opiniâtre à la fois, est un être avant tout doué d’une capacité d’écoute et de réception. Si bien qu’il tente d’entrer en contact avec les éléments en envoyant des SMS au volcan avec son téléphone portable. Une adresse impossible, justifiable par cette impossibilité-même. Ces messages sont proches du haïku, des fragments, des traces d’une expérience vécue ; c’est « une respiration de mots qui se voudrait à la mesure de cette terre qui respire le feu » explique encore l’artiste. « De ton sommet glisse toute la poussière qui forme mon lit », « ta pensée produit la fumée qui distrait mon regard », « à la limite de l’épuisement je deviens toi », « j’aperçois enfin ton ombre à la marge du langage ». On ne s’étonnera pas qu’avec de tels messages, l’Etna soit entré en éruption2 seulement quelques heures après que l’artiste ne soit redescendu sur la terre ferme ! Au-delà de cette coïncidence caustique, ce qui compte réside dans les franges secrètes d’un langage poétique délivré. Si la poésie est bien « le sacrifice où les mots sont victimes » 3, Marco Godinho répond à Bataille en réduisant ses poèmes en confettis jetés gracieusement dans l’air sicilien : la main s’ouvre en geste d’offrande.