Jan Baetens
L’Herbe qui tremble, 112 p., 14 euros C’est un livre étrange que nous donnent Jan Baetens et Frédéric Coché. Livre à lire, recomposer et voir, il est monté comme un scénario à plusieurs points de vue et entrecoupé de gravures de Coché, bédéiste et artiste, à partir d’images du célèbre Photographic Sketch Book of the War qu’Alexander Gardner a réalisé sur le champ de bataille de Gettysburg, pendant la guerre de Sécession. Désigné comme un album de croquis, et non de photographies, cet album fantôme hante un récit à reconstituer à partir des bribes données par chacun des protagonistes. La bataille elle-même, le livre, le photographe, le reporter et l’écrivain (un siècle plus tard) se racontent tour à tour. D’un côté, le photographe, aux prises avec les mises en scène à effectuer sur le théâtre des opérations, doit traîner des cadavres en décomposition sous les boulets ennemis pour obtenir de belles vues. D’un autre, la guerre arrive à l’écrivain dans l’emballage de chewing-gums et chocolats dans lesquels les fabricants glissaient des chromos, dessinant, au gré des collections, l’histoire mondiale en miniature. Un reporter cherche à mettre la main sur l’album de Gardner lors de sa vente aux enchères. Il s’égare, pourchassé, peut-être dans la folie. À travers ces trames anachroniques, parviennent des images d’une guerre impossible à saisir que les gravures de Coché accompagnent. Illustrations flottantes du récit, elles lui donnent une dimension parfois allégorique, comme avec ce squelette s’essayant à la projection d’image sur un écran blanc. Jouant du poétique et du tragique, le livre fait lui-même oeuvre de sécession, narrative, picturale et philosophique: l’image reste irrémédiablement séparée des faits, et l’album de Gardner, à l’arrière-plan de ces fragments, en relie les éléments démembrés comme dans une danse macabre.
Magali Nachtergael