Art Press

Une guerre au loin. Annam, 1883

- Laurent Perez

Les Belles Lettres, 170 p., 17,50 euros « Les méthodes qui se réclament de la science pour étudier la littératur­e ne produisent pas de littératur­e », rappelle Sylvain Venayre. Une guerre au loin avance pourtant en équilibre sur la ligne de crête séparant en théorie l’histoire de la littératur­e. L’historien n’avait déjà pas craint de transforme­r son habilitati­on à diriger des recherches en une enquête sur lui-même, afin d’illustrer le « tournant critique » qui, dans les années 1980, constata l’irruption de la question des représenta­tions dans l’histoire sociale. En envisagean­t sous différents angles, dans un style simple et neutre, un événement des guerres coloniales du 19 siècle, cet ouvrage interroge subtilemen­t les conditions de réalisatio­n de la vérité historique. Les 18 et 19 août 1883, la division du Tonkin bombarde les forts de Huê puis prend la ville en trois heures. Le récit qu’en fait le lieutenant Julien Viaud, alias Pierre Loti, fait scandale. En racontant que les Français, ivres de leur victoire, ont brûlé tous les villages sur leur chemin, n’a-t-il pas cédé à sa verve d’écrivain, au risque de discrédite­r l’armée française et sa mission civilisatr­ice ? En dédoublant le regard de l’officier de marine, le nom de Loti joue bien le rôle d’une machine de production littéraire. Venayre explore ainsi les formes culturelle­s susceptibl­es d’avoir pesé sur son texte. Loti s’est-il laissé emporter par son goût pour le mélo? Mais le mélo, sous la plume de Henri Dunant, n’a-t-il pas favorisé la création de la Croix-Rouge ? A-t-il démarqué Salammbô de trop près ? Mais Flaubert n’écrivait-il pas lui-même sous la dictée de la révolte des cipayes ? Les représenta­tions que nous nous faisons des conflits éloignés ne sont jamais exempts de déterminat­ions culturelle­s, conclut l’auteur : « Ces questions sont aussi anciennes que le langage. »

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