Agnel, si triste fin
Repêché, noyé
Aussi triste qu’elle soit, la piteuse élimination dès les séries du 200 m du tenant du titre, Yannick Agnel, ne peut et ne doit surprendre personne, et surtout pas la Fédération française (FFN), Lionel Horter, son entraîneur, ou lui-même. Parce qu’elle n’est que l’implacable épilogue d’un déclin qu’ils n’ont pu ni su endiguer. Pis, en repêchant Agnel, qui n’a pas réussi les minima olympiques lors des Championnats de France (parce qu’il n’avait déjà pas le niveau), la FFN l’a conforté dans le mensonge et l’illusion d’un miracle plutôt que le pousser à réfléchir au pourquoi de ses désillusions à répétition depuis 2013. Yannick Agnel a annoncé hier qu’il allait bientôt mettre un terme à sa carrière. Et, à 24 ans, c’est un immense gâchis pour un nageur au talent fou. Une fois de plus, la FFN n’a pas réussi à aider l’un de ses champions à se maintenir au sommet. Laure Manaudou, de 2004 à 2008, et Alain Bernard, de 2008 à 2012, s’étaient égarés dans des circonstances comparables. Il serait temps que les dirigeants de la natation française tirent les leçons du passé. YANNICK AGNEL est tombé de haut hier dans le bassin aquatique de Barra da Tijuca. De plus haut, encore, que ses 2,02 m. Le champion olympique en titre du 200 m NL n’est même pas parvenu à surn a g e r e n s é r i e ( 1 9 e t e mps e n 1’47’’35). Abattu mais fataliste en quittant le stade, le grand Bleu a confirmé qu’il allait bientôt annoncer sa retraite à 24 ans. L’épilogue de quatre années où la souffrance a largement pris le pas sur le plaisir. Avec une sensation d’énorme gâchis. « Si j’en fais encore quatre comme celles-là, vous allez me retrouver entre quatre planches », se force même à plaisanter le nageur de Mulhouse.
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Comment en est-on arrivé là ?
« On l’a senti arriver gros comme une maison, observe Denis Auguin, l’ancien coach d’Alain Bernard, consultant pour Canal +. C’est telle- ment compliqué, décousu, déstructuré depuis tant d’années qu’il ne pouvait que se passer ça même si on ne le souhaitait pas. Ce sont des moments difficiles pour lui mais quelque part n’est-ce pas aussi un soulagement ? »
Depuis la séparation avec Fabrice Pellerin et le départ de Nice avec perte et fracas en mai 2013, la carrière d’Agnel a pris des allures de fuite en avant. Avec une aventure américaine chez Phelps qui l’a laissé exsangue avant les Championnats d’Europe 2014 et un retour en France à Mulhouse comme une bouée de sauvetage.
« Je n’ai aucun regret, martèle le protégé de Lionel Horter. Je suis content de toutes les décisions que j’ai prises. Elles sont toutes arrivées à point nommé à un moment où ma santé était en péril. J’ai rencontré des gens formidables. Avec les gens de Mulhouse, on a construit ces deux dernières années comme on a pu. » En se forçant à croire que la flamme olympique brillait encore. « Je suis quand même assez pudique, poursuit-il, ému. Je garde beaucoup de choses pour moi. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ça a été difficile… »
La vraie carrière d’Agnel s’est achevée en 2013, sur un titre mondial venu de presque nulle part à Barcelone, trois mois après le clash avec son ex-mentor Fabrice Pellerin. « Le fil était cassé depuis un bon moment, observe Auguin. 2013 ou 2014, il décroche des médailles mais on est déjà très loin de son meilleur niveau. Quand tu as nagé 1’43’14 (NDLR : aux JO 2012) et que tu montes sur un podium en 1’46’’65 (NDLR : 3e aux Euros 2014), ça fait quand même mal à la tête… »
Devait-il venir à Rio ?
Après un psychodrame dû à un problème de touche aux Championnats de France de Montpellier, Agnel (devancé par Stravius et Pothain) n’avait pas gagné sa place dans l’eau pour le voyage brésilien. Un coup d’arrêt qui aurait pu ouvrir une réflexion différente sur son avenir. Par un tour de passe-passe dont elle a le secret, la Fédération française de natation (FFN) lui a permis de choisir s’il désirait ou non s’aligner en solo à Rio. Après moult hésitations et consultations avec son entourage, il a finalement franchi le pas. Il doit donc aussi largement à la FFN sa sortie un brin pathétique.
« Je pense que ça n’a fait que prolonger l a douleur, souffle Auguin. Il s’est beaucoup interrogé, il ne savait peut-être pas que ce serait si compliqué. Il faut d’ailleurs qu’on se pose de vraies questions sur l’organisation des carrières de nos nageurs sur le long terme… » Le Tricolore s’est forcé à croire qu’on peut continuer à être juste en ayant été. « Il y a une lueur d’espoir en permanence, lâche-t-il. Comme je savais que ce serait probablement ma dernière course individuelle internationale, j’avais à coeur de bien faire les choses. Je voulais prendre du plaisir, être à la bagarre. Et voilà… » Il lui reste désormais demain le relais 4 x 200 m, dont il est aussi tenant du titre, pour que son crépuscule au pied du Christ Rédempteur ne se transforme pas en chemin de croix.
Stade aquatique olympique (Rio), hier. Yannick Agnel n’a obtenu que le 19e temps des séries en 1’47’’35.