Mutilé par un verre d’eau
ENQUÊTE. Du détergent corrosif au lieu d’eau minérale. Une incroyable méprise est à l’origine des blessures irréversibles infligées au client d’un bar à Cannes (Alpes-Maritimes).
UNE SOIF DE FRAÎCHEUR. Une terrasse estivale au coeur de Cannes (Alpes-Maritimes). Une bouteille d’eau minérale servie prestement… et un vacancier de 25 ans plongé dans le coma après en avoir bu une gorgée ! Le pronostic vital de ce jeune homme, toujours hospitalisé à Nice, n’est plus engagé mais son système digestif a subi d’irréversibles dommages. L’histoire du funeste verre d’eau avalé à Cannes la semaine dernière s’éclaircit peu à peu. Une enquête en flagrance, ouverte par le parquet de Grasse et confiée à la sûreté urbaine de Cannes, se poursuit. Elle a d’ores et déjà permis d’écarter l’hypothèse d’un acte de malveillance et d’une infraction volontaire, indique Ludovic Manteufel, substitut du procureur de la République. Et d’esquisser le scénario de cette terrible méprise…
Le liquide ingurgité par le malheureux était… un puissant détergent utilisé pour nettoyer les lavevaisselle du bar. Ni plus ni moins que de l’hydroxyde de sodium — plus communément appelé soude caustique —, un produit chimique soluble dans l’eau, extrêmement corrosif et connu pour son efficacité à déboucher les canalisations.
« Ce liquide était stocké dans des bouteilles type eau minérale, non loin du réfrigérateur où se trouvaient les vraies bouteilles d’eau », détaille Ludovic Manteufel, qui pointe « le manque de rigueur » de ce mode de rangement. Selon les premières auditions, des étiquettes i ndiquant « attention, produit dangereux » étaient apposées sur ces bouteilles — celle de la bouteille servie aurait donc « disparu », dans des circonstances qui restent à établir.
Ces vacanciers, un frère et une soeur originaires de Géorgie et domiciliés dans l’Allier, s’étaient attablés dans ce bar avec une amie. « Elle, la soeur, n’a bu que du bout des lèvres. Elle trouvait le goût bi- zarre, relate le substitut du procureur. Lui a saisi son verre et en a avalé une bonne gorgée cul sec. » Les brûlures causées par le produit lui laisseront des séquelles à vie : son oesophage a été extrêmement e n d o mma g é . S a soeur s’en tire avec quatre jours d’ITT.
Le parquet a t - tend l’issue de l’enquête pour se prononcer sur les suites à donner à cette affaire. « Il reste des témoins à interroger, notamment parmi les clients et les serveurs. Et l’analyse de la bouteille (NDLR : de 50 cl en verre) n’est pas terminée », indique Ludovic Manteufel. Entendu par les policiers, le gérant de l’établissement aurait eu tendance à accabler l ’ employée qui a servi ce « poison » qu’elle croyait être de l’eau. S’agissait-il d’une saisonnière peu au fait des pratiques de stockage — à tout le moins très imprudentes — de l’estaminet ? « La faute du bar semble ne faire guère de doute », estime le magistrat. Reste à savoir si elle relève d’une infraction au code de la consommation et aux règles de l’hygiène. Ou si elle implique une qualification pénale. Les victimes, quoi qu’il en soit, seront fondées à exiger réparation.
Selon un avocat spécialisé, le dé- lit de blessure involontaire par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement pourrait être retenu, au moins à l’encontre de l’établissement. Par ailleurs interrogée, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) rappelle notamment cette disposition d’un règlement européen de 2004, applicable à la restauration : « Les substances dangereuses […] doivent faire l’objet d’un étiquetage approprié et être entreposées dans des conteneurs sûrs et séparés. »
L’étiquette « attention, produit dangereux » avait disparu
Le puissant produit chimique, stocké dans des bouteilles en verre de 50 cl type eau minérale, a été servi par mégarde.