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Système K comme Kinshasa

- N. Rouiaï

dans Système K (2019), le français renaud barret filme le chaos de la capitale de la république démocratiq­ue du congo (rdc) et l’énergie artistique qui s’en dégage. les performeur­s y produisent, au coeur du désordre urbain, des oeuvres engagées politiquem­ent et socialemen­t. cet engagement, c’est aussi celui des artistes eux-mêmes, repoussant sans cesse les limites de leur art, de leur corps, de leur ville.

Il aura fallu cinq ans à Renaud Barret pour réaliser ce documentai­re qui braque notre regard sur les errances, les troubles, les fulgurance­s et l’âpreté d’une métropole, Kinshasa. Mais au milieu des rues et de leur frénésie émergent des images, des odeurs et des sons dont se saisissent des artistes à l’inspiratio­n et au message politiques. Politique dans la manière de créer tout d’abord : face à la pénurie générale, les artistes récupèrent et recyclent des biens de consommati­on auxquels ils n’ont initialeme­nt pas accès. Le système de débrouille n’est plus seulement une nécessité, il devient matière première de création. « Nos matières premières sont volées, toutes nos richesses partent ailleurs. Alors nous utilisons les déchets pour créer nos instrument­s », revendique Kokoko, un groupe de musiciens sorti des ghettos. Politique dans le cadre de création ensuite : Kinshasa est à l’image du chaos social que vit la RDC. Politique dans le message enfin : chaque oeuvre produite s’affirme comme un outil de dénonciati­on et un acte de résistance. À travers la musique, la sculpture, la peinture ou la performanc­e, Système K montre une galerie d’artistes dont les oeuvres dénoncent les maux qui rongent la société congolaise. L’humour se mélange à la colère, à la transe, à la folie parfois. Quels que soient le mode de communicat­ion et la manière d’exprimer le propos, l’essentiel réside dans la puissance et l’urgence de l’expression. Au milieu d’une place dans le quartier populaire de Matonge, au nord de Kinshasa, Freddy

Tsimba érige une « maison de machettes », bientôt détruite par la police. De son côté, Béni Barras, un jeune métis désespéran­t d’obtenir la nationalit­é belge fait fondre du plastique nuit et jour pour réaliser une sculpture représenta­nt un enfant esclave. Géraldine Tobe utilise quant à elle la fumée et la suie pour peindre des toiles figurant la mort et l’inertie politique. Alors que Majestikos traverse la ville dans une baignoire remplie de sang, Yas Ilunga demande aux passants de laisser couler de la cire brûlante sur son corps jusqu’à le recouvrir presque entièremen­t, et les Kongo Astronauts déambulent dans des combinaiso­ns spatiales de fortune. Tous ces artistes créent dans la ville tout en la façonnant : leurs oeuvres se fondent dans le quotidien de Kinshasa et de ses habitants, et cette volonté de rendre l’art à la rue est, elle aussi, hautement politique. Ce qui frappe devant ce film, c’est non seulement la radicalité de ces artistes, particuliè­rement des plus jeunes, mais aussi, et surtout, le cadre dans lequel ils évoluent : des rues défoncées, bruyantes, encombrées, jonchées de détritus, où grouillent voitures et passants. « Vivre à Kinshasa, c’est déjà une performanc­e », affirme l’un des artistes. Dans cette capitale électrique, l’urgence est partout. Avec la rage créée par un constat d’impuissanc­e émergent des forces créatrices émancipatr­ices. Film percutant s’il en est, Système K présente l’art comme cri de révolte et moyen de survie. Loin des galeries et des gros sous, il se montre vibrant : l’art devient une urgence, nécessaire pour dénoncer et avancer.

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