France : les divers territoires de l’industrie
En l’espace de plusieurs siècles, l’industrie a imprégné, outre l’histoire économique et sociale, les paysages et cultures de nombre de territoires français. Si la plupart d’entre eux sont fragilisés depuis plusieurs décennies par le contexte de désindustrialisation et de mondialisation, tous ne s’effondrent pas économiquement. L’industrie structure encore nombre de territoires de l’Hexagone, socio-économiquement et spatialement.
La crise économique de 2008 a rappelé la vulnérabilité de ces espaces en accélérant le processus de désindustrialisation. À l’oeuvre depuis plusieurs décennies, il peut être défini comme une baisse relative de la part de l’industrie (au sens de la production de biens manufacturiers) en termes de valeur ajoutée et d’emplois. Il correspond toutefois plus à une transformation de l’industrie qu’à sa disparition, s’insérant dans un mouvement de mutations des systèmes productifs alimentés par de nombreux facteurs, parmi lesquels la réorganisation mondiale de la production, l’automatisation, la modification de la demande des consommateurs.
QUATRE TYPES DE BASSINS INDUSTRIELS
La désindustrialisation n’a pas été uniforme spatialement : des recompositions territoriales ont été à l’oeuvre. En examinant et en comparant la part de l’emploi industriel dans l’emploi total à l’échelle du bassin de vie entre 1975 et 2012, quatre types peuvent être distingués : 224 bassins tradi-industriels, parmi les plus industriels en 1975 (50,5 % de l’emploi local en moyenne) et en 2012 (29,4 %) ; 186 ex-industriels, parmi les plus industriels en 1975 (41 %) mais pas en 2012 (15,1 %) ; 186 néo-industriels, parmi les plus industriels en 2012 (26,7%) mais pas en 1975 (24,5 %) ; et les autres. La frontière historique, suivant la diagonale Le Havre/Marseille, qui a organisé pendant longtemps la géographie industrielle française, n’existe plus. Les contours des régions de tradition industrielle, marquées par le fordisme, se dessinent, derrière les bassins de vie tradiindustriels et ex-industriels. Quant aux bassins néo-industriels, plus ruraux, ils se situent davantage à l’ouest et résultent parfois des politiques de décentralisation menées dès les années 1960 (dans le pourtour de la région parisienne). Le poids de l’agroalimentaire y est important. Les bassins de vie les plus industriels en 2012 (tradi et néo) sont majoritairement ruraux, mais, en termes absolus, il y a autant d’emplois industriels dans l’espace urbain (700 000) que dans l’espace rural (400 000) et périurbain
(300000). Du fait de la forte présence de bassins urbains, voire métropolitains, les bassins ex-industriels concentrent toujours en 2012 plus d’emplois industriels que les autres catégories. L’emploi industriel est dilué dans les espaces urbains alors que son poids est fort dans certains bassins de vie ruraux dont la population apparaît dépendante économiquement vis-à-vis de ces emplois. Les trajectoires économiques de l’ensemble de ces bassins sont diverses. L’emploi industriel ne recule pas partout à la même vitesse (voire progresse) et ne se traduit pas toujours par un déclin de l’emploi. Parmi les bassins ex-industriels, certains ont fait face à de profondes difficultés socio-économiques (Vitry-le-François, Thionville) quand d’autres ont trouvé de nouvelles voies de développement orientées sur les services, aux entreprises ou à la population (Lille, Annecy). Ces trajectoires se retrouvent également dans une moindre mesure au sein des bassins tradi-industriels. Parmi eux, se trouvent aussi des bassins de vie qui sont parvenus à entretenir et/ou à renouveler leur base productive (Les Herbiers, Obernai). Enfin, dans la plupart des bassins néo-industriels, l’emploi industriel a progressé (Vitré, Figeac).
DES SPÉCIFICITÉS TERRITORIALES
De multiples facteurs sont à l’origine de ces divergences. L’évolution globale favorable de quelques secteurs (agroalimentaire notamment) a pu profiter à certains territoires quand le recul plus inexorable de la plupart des secteurs (sidérurgie, extraction de minerais) en a pénalisé d’autres. Des effets spatiaux sont également manifestes, qu’ils renvoient au type d’espace (les bassins périurbains ont par exemple pu « profiter » de leur proximité avec une grande ville dynamique) ou à l’influence régionale (localisation dans des régions dynamiques ou à proximité des frontières). Mais ces mécanismes structurels n’expliquent pas tout. De nombreux facteurs locaux jouent aussi (prix du foncier et de l’immobilier, taille des entreprises, dépendance ou non à un groupe), tout comme les contextes et spécificités territoriales construits historiquement. Parce que dans certains bassins de vie industriels aucun moteur économique n’est venu prendre le relais et qu’il existe un sentiment de déclassement parmi la population, parce que, pour d’autres, il y a une vigueur industrielle locale dont les origines restent à saisir, parce que l’industrie doit s’adapter pour répondre aux défis climatiques, ces territoires, situés hors des zones métropolitaines, sont au coeur de multiples enjeux contemporains, aussi bien socioéconomiques, environnementaux, politiques que géographiques.