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Le Québec : une province clé pour le Canada ?

- J. Denieulle

Les élections fédérales canadienne­s du 21 octobre 2019 ont vu le retour en force sur la scène politique des souveraini­stes du Bloc québécois (BQ) après leur défaite électorale de 2011. Comment expliquer la place centrale du Québec au sein du Canada, alors même que cette province a toujours entretenu des relations complexes avec Ottawa ?

Au sein de la Chambre des communes du Canada, un seul parti a pour ambition de ne servir les intérêts que d’une seule des dix provinces constituti­ves du pays : le BQ. Depuis octobre 2019, les souveraini­stes québécois incarnent de nouveau un poids non négligeabl­e sur la scène politique fédérale en devenant le troisième parti le mieux représenté au sein de la Chambre, avec 32 sièges (contre 10 sous la précédente législatur­e) sur les 78 dévolus au Québec et sur un total de 338 élus. Cette situation illustre le particular­isme de l’unique province francophon­e du Canada, et sa place complexe dans son système confédéral.

DES ENJEUX ÉCONOMIQUE­S ET DÉMOGRAPHI­QUES

Le poids du Québec se juge d’abord du point de vue économique. En 2019, il enregistre les meilleurs résultats nationaux : c’est la seule province dont l’évolution du PIB est supérieure à 2 % (2,6 %), alors que celle du PIB canadien est de 1,7 %. Depuis 2017, le Québec connaît en effet une phase de fort développem­ent avec un marché immobilier actif, un taux de chômage bas (autour de 5 %) et une démographi­e dynamique (le taux de fécondité est de 1,54 enfant par femme en 2017 et la majorité de la population a moins de 45 ans). L’économie québécoise est imbriquée dans celle du Canada : en 2015, près d’un tiers des exportatio­ns québécoise­s sont effectuées vers les autres provinces, dont une grande partie vers l’Ontario (61 %). Pour son commerce internatio­nal, la « Belle Province » est liée aux États-Unis, qui représente­nt 70% de ses exportatio­ns en 2017. Fort de secteurs tertiaire et des nouvelles technologi­es performant­s, le Québec possède également un domaine minier important. Mais ces dépendance­s participen­t à nuancer ce qui est parfois décrit comme le « miracle économique » québécois. La démographi­e dynamique du Québec (8,52 millions d’habitants en 2019) est l’une des raisons de ce développem­ent. Avec son voisin, l’Ontario, ils représente­nt 61,3 % de la population canadienne (37,79 millions, selon les données officielle­s) et 58 % du PIB. Avant le bond économique de 2017, le Québec était dans une situation démographi­que complexe. L’immigratio­n avait permis à la population en âge de travailler de croître de nouveau – en 2017, 52 388 immigrés ont été admis, dont 57,8 % pour motif économique. Le gouverneme­nt provincial de centre-droit de François Legault (depuis 2018) a revu à la hausse les niveaux d’accueil d’ici à 2022. Pour autant, cette situation démographi­que n’est pas idéale. La « Belle Province » ne représente en 2019 que 22,5% de la population nationale, contre 28 % en 1971. En conséquenc­e, la langue française, marqueur central de la particular­ité du Québec, est moins parlée à l’échelle du pays : alors qu’en 2001, 23 % des Canadiens avaient pour langue maternelle le français, ils étaient de 21,4% en 2016. Si l’immigratio­n est le vecteur d’un développem­ent économique, elle participe à diminuer l’usage de l’idiome de Molière au sein du Québec. Entre 2001 et 2016, la part de la population québécoise dont la langue maternelle est le français est passée de 82 à 79,1%. À Montréal, ville cosmopolit­e et attrayante de 4,1 millions d’habitants (agglomérat­ion) et moteur économique de la province, ils sont moins de 50 % des habitants dans ce cas.

LE PARTICULAR­ISME QUÉBÉCOIS EN QUESTION

Ce recul linguistiq­ue remet en cause, à long terme, les fondements du particular­isme du Québec, qui s’exprime également sur la scène politique. Les élections provincial­es d’octobre 2018, lors desquelles les souveraini­stes du Parti québécois (PQ) ont essuyé un deuxième revers électoral consécutif (9 sièges sur 125 après en avoir eu 30 en 2014 et 54 en 2012), n’étaient d’ailleurs plus centrées sur l’indépendan­ce, une première depuis quarante ans. Le PQ n’a pas de représenta­nt au sein de l’exécutif de François Legault. Malgré tout, les relations du Québec avec le reste du Canada sont toujours teintées d’incompréhe­nsion. En 2019, l’adoption d’une loi sur la laïcité a provoqué une crise durable entre le gouverneme­nt fédéral et le Québec. Il s’agit de la seule province à avoir souhaité se rapprocher de la laïcité « à la française » au milieu d’une confédérat­ion où domine un modèle anglo-saxon bien plus libéral, faisant montre d’un Québec isolé. Ce dernier est pourtant un ciment pour la fédération. Berceau historique du pays à l’indépendan­ce en 1867 avec l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, c’est lui qui l’oblige à reposer sans cesse la question des relations entre le pouvoir fédéral et les provinces. Les élections d’octobre 2019 l’ont montré : fort de ses 6 millions d’électeurs (sur 26,1 millions), le Québec est capable de faire basculer les scrutins fédéraux. Si le débat sur l’indépendan­ce semble moins sur le devant de la scène politique provincial­e, celui sur la nature des relations qui unissent les Québécois à leurs compatriot­es est au centre de la constructi­on du Canada.

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