Le prix de la douleur
La vie n’a pas de prix, en théorie… Les histoires de gros sous, elles, empoisonnent les relations entre les victimes des attentats et les pouvoirs publics. Illustration, le 19 septembre dernier. Lors d’un hommage qui leur était rendu, le Premier ministre déclarait : « Je suis présent ici au nom du président de la République pour vous exprimer, vous garantir cette solidarité dans la durée. Je ne connais rien de pire, rien de plus cruel ni de plus absurde, que d’ajouter de la tracasserie, du souci, de l’incertitude à la douleur. » La main sur le coeur, donc, mais pas au portefeuille. Causette s’est en effet procuré un courrier adressé par la cheffe de cabinet d’Édouard Philippe onze jours plus tôt à l’association Life for Paris, qui demandait une subvention. Réponse : Niet ! « Dans un contexte de forte réduction budgétaire […], l’action de votre association ne peut malheureusement pas bénéficier de notre soutien financier. » Les 750 rescapés et victimes membres de Life for Paris apprécieront le décalage entre les belles déclarations officielles et la réalité de la « solidarité dans la durée » .
L’avocate Samia Maktouf * représente des parties civiles dans les dossiers des attentats du 13 novembre, de Nice et de Merah. Son objectif est de faire éclore un véritable statut des victimes, de faire reconnaître leurs droits dans le maquis judiciaire : « Le nouveau système présenté est un recul », déplore-t-elle. Dans sa ligne de mire, la machine à gaz mise en place par le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) le 25 septembre dernier : le « préjudice d’angoisse de mort imminente » sera indemnisé de 2 000 à 5 000 euros pour les rescapés, et de 5 000 à 30 000 pour les victimes décédées (la somme étant alors versée aux ayants droit). Le « préjudice d’attente et d’inquiétude », attribué aux proches des victimes décédées, sera lui échelonné de 2 000 à 5 000 euros. « On met dos à dos les victimes des personnes décédées et les survivants, s’insurge la présidente de Life for Paris, Caroline Langlade. Cela crée une discrimination entre les victimes. » Et cette loterie macabre ne s’arrête pas là. Exemple concret : une victime dite de « cercle 1 », directement menacée de mort par un attentat dans un périmètre géographique défini par le parquet pourra prétendre à une indemnisation au titre du « préjudice spécifique des victimes d’acte terroriste » . Mais, pour les attentats à venir, cette compensation ne sera désormais plus accordée aux victimes dites de « cercle 2 », les témoins choqués. Autrement dit, à cinq mètres près d’une explosion ou d’un camion bélier, on peut être considéré comme une victime traumatisée, indemnisée à hauteur de 10 000 euros, ou comme un simple passant qui n’a pas eu de chance et n’aura que ses yeux pour pleurer en vivant avec les images d’horreur dont il a été témoin.
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