Bertrand
Chère Causette, Je vais essayer de vous expliquer pourquoi l’écriture inclusive m’est insupportable. Et je vous en conjure, ne jetez pas ma lettre avant de l’avoir lue entièrement, vous n’avez sans doute pas conscience de la raison principale. Lire un texte avec écriture inclusive est pour moi comme marcher sur un trottoir hérissé d’obstacles, je me prends les pieds dedans tous les deux pas, je me cogne, je trébuche, bref, c’est insupportable. Pour le comprendre, il faut connaître les mécanismes cognitifs de la lecture (cf. lecture par voie d’adressage versus par voie d’assemblage). Pour faire simple, j’ai développé un mode de lecture très personnel, très particulier et très rapide qui me permet de lire en survolant le texte. Ce mode de lecture a beaucoup d’avantages, il a aussi des inconvénients : je suis par exemple incapable de prononcer le nom du héros du thriller danois que je viens de finir de lire… Et ce, après l’avoir vu écrit 252 fois ! Et parmi d’autres inconvénients, il y a celui-ci : je trébuche sur chaque mot d’écriture inclusive… […] Et si c’est valable pour moi, cela doit l’être pour un certain nombre de personnes. Faites un petit sondage autour de vous. Cet argument à lui seul est suffisant pour ne plus du tout avoir envie de lire vos, pourtant superbes, articles ! Alors, je vais juste ajouter très vite que lecteur assidu de Causette, je suis aussi prof pour un public dys [troubles cognitifs spécifiques englobant la dyslexie, ndlr]. Et il va falloir me croire sur parole : pour des mauvais lecteurs, la lecture inclusive est une difficulté supplémentaire. […] Dommage ! Au revoir chère Causette. Noooon ! Vous en allez pas comme ça, Bertrand, sans nous laisser la moindre chanceuh ! En faisant le choix de l’écriture inclusive, nous savions que la solution n’était pas parfaite. Ce qui est bien, c’est qu’elle n’est pas non plus figée, et que si ce fameux « point médian » au coeur des difficultés de lecture que vous soulevez est l’objet de nombreuses critiques, nous pourrons revenir dessus. Notons que, puisque depuis son commencement, Causette a fait le choix de s’adresser aux femmes et que nos lecteurs masculins acceptent ce contrat de lecture, les points médians restent peu nombreux dans nos pages. Ce que nous voulions montrer en adoptant l’écriture inclusive, c’est que la langue est politique. Et qui mieux que
Causette pour porter l’étendard de l’égalité jusque dans la plume ? Allez, on fait un point écriture inclusive dans quelques mois avec vous toutes et tous qui nous avez écrit pour vous en plaindre… Si tant est que votre oeil bute encore dessus ! C.