Causeur

Mike Tyson, génie du mal ?

Adulé puis haï par le monde entier, richissime puis ruiné, le plus grand boxeur du siècle dernier raconte une vie marquée par la souffrance. Et pas seulement pour ses adversaire­s…

- Roland Jaccard

Mike Tyson, tout le monde connaît : ancien champion du monde des poids lourds – 50 victoires sur 58 combats, dont 44 par KO –, cocaïnoman­e et alcoolique, brute accusée et condamnée pour viol, et aussi soutien inconditio­nnel de Donald Trump. Mais on ne sait pas comment il en est arrivé là.

D'abord que lui reprochait-on ? De frapper sa femme, l'actrice Robin Givens, certes. Tristement banal dans le milieu de la boxe. D'en harceler d'autres ? Encore plus banal. Les 300 millions de dollars acquis à coups de poing ? Pas vraiment. Non, ce qu'on ne lui pardonnait pas, c'était son cynisme : on ne se moque pas impunément des vieux boxeurs noirs qui consacrent leur dernière force à lutter contre la délinquanc­e juvénile ou l'apartheid. Il incarnait une forme de génie du mal, promenant ostensible­ment son dégoût de tout, aussi bien de la boxe que des autres et de lui-même.

Ce qu'on lui pardonnait encore moins, c'est d'avoir violé une jeune Noire – ce qu'il a toujours nié –, candidate à un concours de beauté dont il présidait le jury, viol qui lui a valu six ans dans un pénitencie­r. Sans oublier ce combat mythique au cours duquel il a arraché avec ses dents l'oreille de son adversaire Evander Holyfield.

On s'est étonné que ce bad boy, « Kid Dynamite » comme le surnommait son mentor et père adoptif Cus d'amato, converti à l'islam en prison, ait pris le parti de Donald Trump contre Mme Clinton. C'est oublier que Trump a toujours défendu et soutenu financière­ment Mike Tyson, y compris lors de son procès pour viol, sans doute truqué. Car comment imaginer qu'une donzelle n'ignorant rien de la brutalité de Tyson – six plaintes avaient déjà été déposées contre lui pour harcèlemen­t sexuel – l'ait suivi en toute naïveté dans la chambre 606 de l'hôtel Canterbury à Indianapol­is. Ce qu'il a expié pendant des années dans le pénitencie­r d'indianapol­is, c'est moins un viol douteux que l'image terrifiant­e qu'on projetait sur lui.

Or voilà que maintenant, après avoir passé le cap de la cinquantai­ne, Mike Tyson reconnaît que sa vie a

été un énorme gâchis ! Il veut tourner la page de son passé, y compris celle de la boxe : « Les gens respectent le combattant, ce que j’ai accompli sur le ring. Mais moi j’aimerais que ce gars-là soit mort, qu’il n’ait jamais existé. » Paradoxale­ment, il estime avoir été victime de sa sensibilit­é. Il a raconté sa vie dans deux livres : La Vérité et rien d’autre (2014) et Iron Ambition: My Life with Cus d’amato (mai 2017). Il évoque ainsi, plus de trente après sa mort, la figure tutélaire de Cus d'amato, celui qui l'a découvert et élevé quand il n'avait que 13 ans. Mais Cus est mort d'une pneumonie quelques mois après les débuts fulgurants de « Kid Dynamite ». Il parle également de sa passion pour la colombophi­lie. « Avant Cus, ce sont les pigeons qui m’ont sauvé la vie. » Un type, raconte-t-il, a volé un de mes oiseaux, et quand je lui ai demandé de me le rendre, il l'a sorti de son manteau, lui a tordu le cou et a frotté son sang sur moi, laissant une tache indélébile dans l'âme de l'enfant. Cette blessure ne sera pas la seule, mais aucune ne laissera une trace aussi profonde, même pas ses tentatives de suicide ni un viol subi dans son enfance. Une colombe peut-elle décider du destin d'un homme ? Mike Tyson se pose encore la question – insoluble bien sûr. •

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