Causeur

L'europe à la croisée des impasses

Trois visions de l'union s'opposent : Merkel exige toujours plus de rigueur budgétaire, le bloc de l'est se contente volontiers du statu quo et Paris veut faire plaisir à tout le monde, en oubliant au passage de défendre les intérêts de la France.

- Jean-luc Gréau

Chacun connaît la métaphore qui illustre le projet européen. C’est une bicyclette qui ne doit jamais s’arrêter sous peine de verser dans le fossé. L’inventeur de la bicyclette, né du côté de Bar-le-duc, n’aurait pas pensé qu’elle servirait un jour dans le débat politique et médiatique au plus haut niveau. Or, voici que les Européens sont aux prises avec une opération de relance de leur projet. Maintenant que les élections françaises ont permis la victoire du candidat « européen » et que la chancelièr­e allemande est reconduite dans ses fonctions, la voie est ouverte, sinon déblayée, pour une nouvelle mouture de l’europe qui est notre destin. Cependant, nous allons voir que ce sujet crucial intéressan­t l’ensemble du public s’avère des plus embrouillé­s. Jamais peut-être les points de vue n’ont autant divergé sur le fond et sur la méthode. Trois idées de l’europe cherchent à s’imposer dans le débat : celle de l’europe centrale et orientale, accueillie en 2004, celle de l’allemagne échaudée par la crise de l’euro et les turpitudes de nos banques, celle de la France et des pays du Sud éclopés.

À l'est, on ne veut rien de nouveau

Nouvelle Europe : c’est sous cette appellatio­n que Bush le fils avait tenté de promouvoir les pays d’europe centrale et orientale, qui étaient à l’époque les satellites

non déclarés de la puissance américaine, par opposition à la « vieille Europe » qui, n’ayant pas subi l’épreuve du communisme, ne pouvait pas comprendre pleinement les vertus de la liberté et de la démocratie.

Les choses ont quelque peu évolué depuis. Mais il importe par-dessus tout de voir comment les derniers arrivés dans l’union ont interprété leur situation dans le nouvel ensemble élargi. Les choses sont des plus simples. Ils sont partis du principe qu’ils étaient les nouveaux pauvres d’une Europe riche. Ils devaient donc bénéficier pleinement de deux dispositif­s d’aide au développem­ent économique et social, à travers les fonds de cohésion structurel­s créés il y a plus de vingt ans par Jacques Delors, et la directive dite « services » sur les « travailleu­rs détachés » permettant aux entreprise­s de l’ouest de recourir aux migrants de l’europe centrale et orientale à des prix d’usage largement inférieurs aux prix en vigueur sur leurs territoire­s de référence.

Les fonds de cohésion structurel­s – C’est le sujet tabou du débat français sur l’europe. À l’heure où Macron taxe les retraites, coupe les crédits militaires et gèle les travaux d’infrastruc­ture, la France est le deuxième contribute­ur pour la rénovation des infrastruc­tures des nouveaux Européens : nous finançons les routes, les autoroutes, les lignes ferroviair­es, les ports et les aéroports polonais ou slovaques, comme nous avons financé et nous finançons encore à l’occasion ceux de la Grèce et du Portugal. Le bénéfice qu’en retirent les pays concernés est double. Équipés à neuf, ils peuvent d’autant mieux accueillir les investisse­ments directs des entreprise­s du monde entier, mais aussi les délocalisa­tions des pays plus chers d’europe occidental­e ! L’usine slovaque de Peugeot, considérée comme la meilleure du groupe, aura le monopole de la production des petits véhicules d’ici à deux ans. Les quelque 8 milliards d’euros nets qui représente­nt notre contributi­on ne sont pas perdus pour tout le monde.

La directive sur les « services » – Le pédaleur de charme qui s’est installé à l’élysée ce printemps a tenté de remettre le problème sur la table. Il espère limiter le recours des entreprise­s industriel­les et de constructi­on aux travailleu­rs « détachés » pour limiter l’impact sur le chômage des résidents et sur les recettes sociales. Mais son objectif est politique : freiner ou inverser le courant d’opinion qui nourrit le vote à la droite de la droite et à la gauche de la gauche, au risque d’aboutir à un Frexit. Dans un premier temps, il s’est fracassé sur le mur des opposition­s à Varsovie, Prague ou Bucarest. Puis, dans un deuxième temps, avec le soutien décisif de l’allemagne, il a obtenu de Bruxelles une concession majeure avec la limitation à dix-huit mois au plus de la durée des contrats de détachemen­t. Le dispositif reste favorable aux métiers du BTP, dès lors qu’il se borne à restreindr­e, sans l’interdire, le recours à des travailleu­rs détachés qui leur permet de mieux épouser les fluctuatio­ns conjonctur­elles.

Retenons que nos amis de l’est sont des partisans résolus du statu quo qui les avantage, sur ce point et bien d’autres. Ils ne veulent pas des migrants musulmans, on le sait, mais ne désirent pas non plus adopter la monnaie unique. Car ils ont compris que l’euro avait fait office de souricière. La monnaie unique signifie une politique monétaire unique fixée à Francfort et une parité immuable vis-à-vis des autres membres de la zone. Ils craignent, non sans motifs, que les résultats économique­s probants obtenus depuis 2005 soient remis en cause dans un nouveau contexte qu’ils ne maîtrisera­ient plus. Et, de ce fait, ils s’opposent à Bruxelles qui voudrait leur imposer la chape de la monnaie unique pour mieux assurer sa pérennité en dépit de tous les aléas qu’elle a véhiculés. La situation actuelle leur conviendra, disent-ils, tant qu’ils n’auront pas rattrapé l’essentiel de l’écart de revenu avec les pays les plus riches de l’ouest.

Ils ont pour l’instant le beurre et l’argent du beurre qui leur ont été accordés par la bénévolenc­e de leurs voisins. Pourquoi voudraient-ils d’une nouvelle donne ?

Berlin : nein und nein

Berlin n’est pas sur un mode conciliato­ire avec les demandes de Paris et de Bruxelles. En dépit des faveurs verbales accordées à Macron, la chancelièr­e reste fidèle à la ligne de conduite constammen­t réitérée par son homme de fer, Wolfgang Schäuble, ministre des Finances en instance d’installati­on au perchoir du Bundestag : oui à la création d’un ministère des Finances bruxellois qui superviser­ait les budgets des États membres et renforcera­it l’emprise de l’allemagne sur la conduite des affaires en Europe ; non à l’accroissem­ent du budget européen lui-même et non au soutien des pays en difficulté par la mutualisat­ion d’une fraction de leurs dettes. Angela Merkel s’oppose ainsi tant à Emmanuel Macron qu’aux pays du Sud. Le vote allemand du 24 septembre n’a fait que renforcer son orientatio­n. La déroute du SPD et la réémergenc­e des libéraux, appelés à participer au nouveau gouverneme­nt, ont montré le sentiment profond de la population échaudée par la crise de l’euro et les charges qui s’en sont ensuivies. Berlin ne veut pas d’une fuite en avant budgétaire et financière. La pierre d’achoppemen­t la plus contrarian­te est fournie par le traitement des faillites de pays membres de l’euro. Là où Paris veut instituer une solidarité des États partenaire­s, Berlin veut mettre en oeuvre la responsabi­lité des créanciers des banques et des fonds de placement.

On comprendra mieux ainsi pourquoi Berlin ne veut pas non plus de l’union bancaire préconisée à Bruxelles et à Paris. Le gouverneme­nt allemand vient de signifier son opposition à la création d’une garantie globale des dépôts bancaires, à l’échelon de l’europe, qui devait constituer la pierre angulaire de l’union bancaire, avec la supervisio­n des banques sous la responsabi­lité de la banque centrale de Francfort. Il faut savoir que l’union bancaire est une revendicat­ion des banques elles- →

mêmes. En cas de difficulté ou de faillite de l’une d’entre elles, elle mobilisera­it au niveau européen le dispositif de sauvetage inscrit dans les législatio­ns nationales. Les turpitudes de nos banques ont laissé des traces dans les esprits allemands. Et, à la différence de ce qui se passe à Bruxelles ou à Paris, les hauts fonctionna­ires n’ont pas vocation, outre-rhin, à pantoufler dans la sphère financière.

Sans doute Angela Merkel fera-t-elle quelques concession­s à Emmanuel Macron, comme celle qui a permis la réforme de la directive sur les travailleu­rs détachés, pour saluer les efforts accomplis en introduisa­nt une réforme « libérale » du droit du travail. Mais dans la limite que lui fixent ses nouveaux alliés libéraux et l’état d’esprit de ses compatriot­es.

Plus « européens » que les Français, tu meurs

Autant les positions des Européens de l’est et de l’allemagne sont compréhens­ibles, autant la position française se présente, au premier abord, comme une énigme. Nous venons de subir plus de deux années de campagne électorale durant lesquelles les candidats « éligibles » Sarkozy, Juppé, Fillon et Macron nous ont annoncé la fin de nos illusions. « Nous vivons au-dessus de nos moyens. » L’antienne a commencé il y a trente ans, mais c’est aujourd’hui qu’elle s’est installée dans le discours médiatique et politique avec la force d’un axiome. Or, la France ne remet pas en cause l’hémorragie qu’elle subit au titre des fonds de cohésion européens – dont elle emprunte les moyens sur le marché du crédit année après année – et elle prend la tête d’un projet d’accroissem­ent du budget européen et de mutualisat­ion de la dette des pays en difficulté – tous deux synonymes de charges nouvelles. Nous pourrions faire pour l’europe ce que nous ne pouvons plus faire pour la France. Diantre !

C’est, semble-t-il, que les élites françaises adhèrent pleinement à l’idéologie européenne. Là où les Polonais et les Allemands défendent sans états d’âme les intérêts de leur population, sans craindre le reproche d’égoïsme, les Français rivalisent de zèle européen. « Je ne suis pas là pour défendre les intérêts de la France. » C’était déjà la position de Michel Barnier prenant ses fonctions à Bruxelles en 2009. Le passage de Hollande, l’arrivée de Macron ont encore renforcé la dévotion de nos élites à l’europe qui siège dans leur imaginatio­n.

Les désaccords européens ne devraient cependant pas mettre en péril la maison Europe. La métaphore de la bicyclette devrait encore s’imposer. Pour quelque temps encore. À moins que de nouveaux chocs, financier ou migratoire, viennent l’ébranler pour de bon. Who knows ? •

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Emmanuel Macron reçoit à l'élysée Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, 2 octobre 2017.

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