Causeur

Accusés, couchés vous !

Madame Schiappa entend « mettre fin à l’impunité du harcèlemen­t sexuel ». Ce serait un objectif louable s’il ne se faisait au prix d’une violation de tous les principes fondamenta­ux de la justice.

- Florence Rault

Les récentes évolutions du féminisme ne cessent d’inquiéter. Ceux qui pensaient que nous avions touché le fond avec ce qu’élisabeth Badinter a qualifié de « féminisme victimaire » suivent depuis quelques semaines avec effarement la transforma­tion de cette dérive en un phénomène encore plus atterrant : le féminisme délateur. Déjà, avec l’affaire Sauvage, les dérives du féminisme avaient permis de transforme­r une meurtrière en victime. Ses partisanes vont jusqu’à vouloir instaurer une prétendue « légitime défense différée », c’est-à-dire un permis de tuer. Maintenait, l’onde de choc provoquée par l’affaire Weinstein leur permet de pousser encore plus loin en déclenchan­t une déferlante de dénonciati­on. Si mon propos n’est évidemment pas de nier ou de minimiser la gravité des viols, harcèlemen­ts et autres agressions sexuelles, il me paraît absurde de considérer les femmes comme des créatures innocentes à la merci de millions de prédateurs lubriques. Ce psychodram­e confronte le féminisme à trois impasses. Primo, comme le note le philosophe Philippe Forget, « le féminisme délateur recycle en creux tous les préjugés traditionn­els sur la femme, (...) créature faible, plaintive, quasiment infantile, une mineure que l’état doit protéger ». Deuxio, il somme la justice d’atteindre des objectifs qui ne sont pas les siens, ce qu’elle ne saurait faire sans renoncer à nos libertés fondamenta­les. Tertio, à force de

se polariser sur un patriarcat en plein recul, on fait peu de cas des actuels obstacles à l’émancipati­on féminine que sont l’individual­isme triomphant et le fétichisme marchand. C’est la combinaiso­n de ces deux éléments que l’on retrouve dans Elle. Si certains ont loué le courage du magazine féminin après que celui-ci a publié un éditorial d’hommage à Marie Trintignan­t en réponse à l’indécente couverture des Inrocks avec Bertrand Cantat, je trouve cette démarche bien hypocrite. Dans cet hebdomadai­re érotisant la femme-objet à toutes les pages, on trouve un drôle de discours pseudo-féministe dénonçant la manipulati­on du corps féminin, avec des trémolos compassion­nels pour la vraie victime que fut Trintignan­t. Une telle schizophré­nie, alimentée par ce que les université­s américaine­s qualifient de « récit de la victimisat­ion » en l’enseignant aux étudiantes, entretient l’anxiété chez les jeunes femmes. Désormais, c’est dans les prétoires que certaines voudraient mener une guerre des sexes. Soulignons au passage que la délinquanc­e sexuelle, cause d’une incarcérat­ion sur trois en France, est un phénomène complexe. Malgré l’horreur qu’elle nous inspire, dans l’intérêt même de la société, il ne faut pas considérer les blocs de granit de notre justice – le droit au procès équitable, le secret de l’instructio­n, le débat contradict­oire et loyal, la charge de la preuve et le bénéfice du doute – comme des fioritures. Ces principes visent, ni plus ni moins, à élaborer une vérité judiciaire permettant à l’état d’exercer son monopole de la violence légitime tout en évitant la condamnati­on d’innocents, impératif que la justice française a trop souvent considéré comme secondaire. La règle que nous impose le féminisme délateur selon laquelle il vaut mieux mettre en prison neuf innocents que de laisser en liberté un seul porc fait froid dans le dos. Aux tricoteuse­s de la presse et des réseaux sociaux qui se déchaînent, je rappellera­i que la présomptio­n d’innocence n’est pas une incantatio­n, mais une liberté protégée par la loi. Or, je n’ai cessé de lire des commentair­es soutenant qu’ayant été accusé de viol, c’est désormais à Tariq Ramadan de prouver son innocence ! Quant au harcèlemen­t, il pose l’épineuse question de la parole de l’une contre celle de l’autre. À moins de considérer tout témoignage féminin comme parole d’évangile. Parce que le beau sexe, c’est bien connu, ne ment jamais… Pour compliquer encore les choses, il n’existe pas de définition objective du harcèlemen­t. Or, une règle juridique de base exige qu’une infraction soit suffisamme­nt précisée dans le Code pénal. C’est d’ailleurs à cause du caractère trop général de son texte que le Conseil constituti­onnel avait légitimeme­nt annulé la loi sur le harcèlemen­t sexuel votée en 2002. Contrairem­ent à ce que laissent croire les lyncheurs, les accusation­s de harcèlemen­t nous mettent face à une réalité extrêmemen­t complexe. Objectiver certains comporteme­nts humains (comme une blague grivoise ou un geste ambigu) en les criminalis­ant purement et simplement ouvrirait une boîte de Pandore. Hélas, les aberration­s de cet acabit, mélange d’inculture juridique et de mépris des libertés, ne se cantonnent pas à la sphère électroniq­ue. Victime présumée de Denis Baupin, qu’elle accuse de harcèlemen­t sexuel, la militante écologiste Sandrine Rousseau s’étonne ainsi que les policiers ayant enregistré sa plainte lui aient demandé la façon dont elle était habillée au moment des faits. Si ces messieurs lui ont semblé désobligea­nts, c’est parce qu’ils ont préféré anticiper une question que l’avocat de Denis Baupin n’aurait pas manqué de poser à Sandrine Rousseau. Dans l’intérêt même de la plaignante, la police a à coeur d’envoyer des dossiers solides au procureur. Bref, « mettre fin à l’impunité du harcèlemen­t sexuel », comme le souhaite madame Schiappa, serait un objectif louable s’il ne se faisait au prix d’une violation de tous les principes fondamenta­ux de la justice. Pour parachever le vrai combat féministe, force est également de reconnaîtr­e l’accroissem­ent continu des violences (physiques, morales, psychologi­ques) faites aux hommes par certaines femmes. Prenons l’exemple des fausses allégation­s d’abus sexuels qui ternissent un divorce sur quatre. Il est des mères qui n’hésitent pas à salir leur ex-mari à tout prix pour les priver de la garde des enfants. Ce phénomène aussi massif que méconnu brise des vies, lorsqu’il ne conduit pas au suicide les hommes calomniés. Depuis vingt ans, à la suite des progrès de L’ADN, un autre dévoiement de la justice est devenu un sport national : la « paternité forcée ». Qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, les femmes occidental­es ont conquis de haute lutte le droit de dire « un enfant si je veux quand je veux » sans que l’homme n’ait son mot à dire. Par voie de conséquenc­e, les procédures de recherche en paternité, assorties de demandes de coquettes pensions alimentair­es, se sont multipliée­s – la plupart du temps à l’encontre d’hommes aisés. Sans s’émouvoir de pratiques aussi perverses, le féminisme délateur ricane et, empreint de ce nouveau puritanism­e androphobe, répond : « Il n’avait qu’à pas coucher. » On ferait mieux de se souvenir des exhumation­s d’yves Montand et Salvador Dalí… Cela dit, je ne voudrais pas victimiser les hommes. Ne tombons pas dans le piège du féminisme délateur qui rêve de jouer la guerre des sexes au tribunal dans un duel de victimes. Pour ceux qui, comme moi, ont voulu la libération des femmes pendant des années, l’enjeu est de taille : empêcher le féminisme contempora­in de devenir l’ennemi de la liberté. •

 ??  ?? Action des Femen devant le palais de justice de Paris pour exiger la grâce de Jacqueline Sauvage, 25 novembre 2016.
Action des Femen devant le palais de justice de Paris pour exiger la grâce de Jacqueline Sauvage, 25 novembre 2016.
 ??  ?? La Dictature de l’émotion : la protection de l’enfant et ses dérives, Belfond, 2002.
La Dictature de l’émotion : la protection de l’enfant et ses dérives, Belfond, 2002.

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