Causeur

Darrieux résistante, une erreur de casting

- Par Jean-marie Besset

Arte a fait montre d’une certaine ironie en diffusant, le jour de l’enterremen­t de Danielle Darrieux, et « en hommage » à la disparue, Marie-octobre, de Julien Duvivier (1959), où elle incarne l’égérie et la justicière d’un réseau de la Résistance trahi par l’un de ses membres, qu’elle assassine froidement en découvrant qu’il a livré à la Gestapo le réseau et son chef, dont elle était amoureuse. Dans la vraie vie, Darrieux fut aux côtés de Suzy Delair, Albert Préjean et Viviane Romance une des vedettes de la fameuse délégation d’artistes français invitée à Berlin par les nazis en mars 42. Une infamie qu’elle justifia par son unique souci de faire libérer, aux termes d’un deal avec la Gestapo, son amant Porfirio Rubirosa, prisonnier en Allemagne. Ce qui est frappant si on est attentif aux dialogues du film (signés Henri Jeanson) et aux détails de son scénario (dû à Jacques Robert), c’est la descriptio­n précise des rapports du chef du réseau (nommé ici Castille) avec les femmes. Et on a l’impression d’une condensati­on des relations entre Jean Moulin (Castille) et René Hardy (Rougier), dans laquelle Marie-octobre serait un curieux mélange de la résistante Antoinette Sachs, dont on dit qu’elle était la maîtresse du chef du CNR, et de Lydie Bastien, que beaucoup accusent d’avoir livré le même Moulin à ses bourreaux. La revue Sens Critique confirme cette intuition dans son analyse du film : « Sur le fond, Jacques Robert s’inspire du destin de René Hardy, le résistant accusé d’être impliqué dans l’arrestatio­n de Jean Moulin et qui sera jugé et acquitté deux fois. » Manifestem­ent, en 1959, Duvivier et ses scénariste­s, même s’ils procédaien­t par allusions, avaient des idées précises sur les ambiguïtés du chef de la Résistance. Au climax de la confrontat­ion entre Rougier (Reggiani) et Marie-octobre (Darrieux), celui-ci lâche à la femme éperdument amoureuse dudit Castille-moulin : « Tu sais très bien qu’en amour il était violent, c’était une brute… que tu n’étais rien à ses yeux... Pour lui, les femmes n’existaient pas ! » Marie-octobre fut le premier film à revenir sur les luttes et trahisons internes à la Résistance. Sa fin « morale » rend bien compte de la bien-pensance gaullienne de l’époque et du mythe d’une Résistance insoupçonn­able. Autre détail amusant, Paul Meurisse qui joue ici (à 47 ans) le rôle d’un résistant ami et confident de Marieoctob­re (ersatz du personnage de Castille qui n’apparaît pas dans le film), jouera dix ans plus tard le personnage calqué sur Moulin dans L’armée des ombres de Melville (1969). •

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