Causeur

CHRONIQUE D'UNE NON-EXPULSION ORDINAIRE

On accuse régulièrem­ent les magistrats de laxisme, notamment dans les cas de remise en liberté de délinquant­s sans-papiers multirécid­ivistes. Or, bien souvent, les juges prennent les décisions qui s'imposent… et qui ne sont pas appliquées.

- Par Rachel Binhas

Zied, 30 ans, est un Tunisien en situation irrégulièr­e en France. Travaillan­t au noir, l’homme est connu de la justice pour divers faits de délinquanc­e dont la détention de stupéfiant­s. Rien de bien grave avant le 15 novembre 2015. Ce jour-là, 72 heures à peine après les attentats du Bataclan, alors que les forces de l’ordre l’interpelle­nt à Cannes pour vol et recel, Zied s’écrie : « C’est bien fait ce qui s’est passé à Paris. Il y aurait dû avoir plus de morts. Si vous me renvoyez au bled, on va revenir à 2 000 pour finir le travail. On va tuer les juifs et les chrétiens. Allahou Akbar ! » Jugé le 20 novembre 2015 au tribunal correction­nel de Grasse pour apologie du terrorisme, le Tunisien écope de deux ans de prison ferme et d’une interdicti­on définitive de territoire. En prison sous la surveillan­ce des services antiterror­istes, Zied est loin d’être un détenu modèle, puisqu’il ne bénéficie pas de toutes les remises de peines automatiqu­es.

Une fois sa peine purgée, Zied entame le parcours prévu par la loi pour des étrangers frappés d’une interdicti­on de territoire, mesure supposée aboutir à une expulsion. Mais après trois semaines au centre de rétention administra­tive de Nice, Zied retrouve tout simplement sa liberté. Et ses activités délictueus­es. C’est ainsi qu’en septembre dernier il tente de voler une bouteille de vodka (« Je suis musulman, mais j’aime l’alcool », expliquera-t-il plus tard aux juges) dans un supermarch­é du centre de Cannes. Le patron habitué aux vols à répétition décide de ne pas impliquer la police et demande à son vigile de régler l’affaire. Le grand gaillard, un Algérien, fait alors sortir Zied. Le vigile lui ayant tourné le dos pour regagner le commerce, Zied sort un poignard, et se dirige vers lui. C’est grâce aux cris d’une passante que le vigile a pu se retourner et éviter le pire. Il sera quand même blessé à la main.

Quelques jours après les faits, le 15 septembre, Zied comparaiss­ait pour vol et violence avec usage d’une arme. À la barre, l’homme plaide l’autodéfens­e : le vigile, explique-t-il, avait une attitude menaçante… mais ce n’est pas tout. Malgré son casier judiciaire bien garni et les trois identités dont il use, Zied profite de son passage au tribunal pour formuler une demande toute particuliè­re : il souhaitera­it bénéficier d’un titre de séjour pour raisons médicales. Les juges n’ont pas marché. Allant au-delà des réquisitio­ns du procureur qui demandait un an ferme, ils ont prononcé une peine de quinze mois de prison. Mais que se passera-t-il fin 2018, quand Zied sortira de prison ? Un juge niçois que nous avons contacté confirme que le cas de Zied comme celui du terroriste de la gare de Marseille ne sont pas des exceptions. Selon le magistrat, c’est dans tout l’hexagone que ses collègues prononcent « des interdicti­ons de territoire qui ne sont pas appliquées ». Le problème dépasse donc largement le cas de la préfecture du Rhône, dont le préfet a été limogé pour servir d’exemple. •

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Attentat islamiste à la gare Saint-charles de Marseille, 1er octobre 2017.

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