Causeur

ANTISÉMITI­SME: ILS EN ONT PARLÉ!

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C’est vrai, mais il ne faut pas le dire. Depuis quinze ans, au bas mot, l'existence d'un antisémiti­sme que l'on continue, bizarremen­t, à dire nouveau pour éviter de dire d'où il vient, est le secret de polichinel­le le mieux gardé de la République. Des palais du gouverneme­nt aux bistrots, tout le monde sait qu'il existe, qu'il n'est pas le fait de crânes rasés, mais de barbus, que c'est à cause de lui que des juifs quittent le pays : aussi surprenant que cela soit pour un journalist­e de France Inter, on peut vivre avec des vieux crabes qui chantent des chants nazis, pas avec des gens qui agressent vos gosses. Il n'y a plus un enfant juif, aujourd'hui, dans les écoles publiques de Seinesaint-denis, tout le monde le sait, et tout le monde sait pourquoi : parce que dans la France d'aujourd'hui, il est, sinon impossible, très difficile pour des juifs « isolés » de vivre dans des quartiers majoritair­ement peuplés de musulmans. C'est un fait. Et si c'est vrai, on doit le dire. Pour de nombreux juifs, et pour tous les Français qui pensent que l'antisémiti­sme n'est pas le problème des juifs, mais celui de la France, le plus désespéran­t n'est pas la peur mais le déni, le plus révoltant n'est même pas la haine islamiste (dont ils ne sont d'ailleurs pas, tant s'en faut, les seules cibles), mais l'indifféren­ce ou le scepticism­e de nombre de leurs concitoyen­s, l'indignatio­n sélective de presque toute la gauche politique, culturelle et médiatique, qui ne voit les antisémite­s que quand ils sont bien de chez nous. L'émotion suscitée dans tout le pays par la mort de Mireille Knoll, la onzième citoyenne française assassinée parce qu'elle était juive depuis 2006, puis la parution, dans Le Parisien du 22 avril, d'un « Manifeste contre le nouvel antisémiti­sme1 » signé par 300 personnali­tés dont Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et Laurent Wauquiez, ont fait penser à beaucoup que le mur du silence avait enfin cédé sous les coups de boutoir du réel. Pas de périphrase ni d'euphémisat­ion et encore moins d'excuse sociale : la plume de Philippe Val n'a pas tremblé quand il a rédigé ce texte qui établit un lien direct entre la recrudesce­nce des actes antijuifs et la terreur que font régner les islamistes sur les musulmans de France, affirme que « l’antisémiti­sme musulman est la plus grande menace qui pèse sur l’islam du xxie siècle », et appelle l'islam de France à ouvrir la voie de la réforme en frappant d'obsolescen­ce « les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ». Les signataire­s s'attendaien­t à susciter quelques remous et même, on peut toujours rêver, un débat sur la meilleure façon de nommer les choses. Au lieu de quoi on a d'abord assisté à diverses leçons de maintien prodiguées par des éditoriali­stes offusqués et des politiques circonspec­ts, regrettant que le manifeste emploie tel terme plutôt qu'un autre et prenne l'exemple de ceci plutôt que de cela. « Texte à côté de la plaque », tweetait sobrement La France insoumise, où on doit tenir l'antisémiti­sme pour un sujet casse-gueule. Il aurait fallu « maîtriser son expression », regrettait Laurent Joffrin, professora­l. Quant à Claude Askolovitc­h, qui a eu le temps, en moins de 24 heures, d'écrire 30 pages en réponse au manifeste, il n'a visiblemen­t pas trouvé celui de le lire. En effet, il y a par exemple trouvé l'idée que « la défense du juif implique le refus de l’islam ». Qu'un homme aussi subtil ne comprenne pas la différence entre le refus de l'islam et le refus de certaines de ses expression­s, voilà qui laisse songeur. On a aussi eu droit à de multiples variations sur l'air rebattu du « pas d'amalgame », jusqu'à celle de Jeanpierre Chevènemen­t, qu'on a connu mieux inspiré : le président de la Fondation pour l'islam de France a estimé qu'il était « dangereux de désigner “un nouvel antisémiti­sme musulman”, comme si tous les musulmans avaient tété l’antisémiti­sme avec le lait de leur mère ». On aimerait comprendre pourquoi il est dangereux de désigner « un nouvel antisémiti­sme musulman » : est-ce parce qu'il n'existe pas ou parce qu'il existe, mais qu'il ne faut pas le dire ? Mais le plus édifiant a été la réaction outragée et pour une fois unanime des autorités musulmanes qui ont fait assaut de susceptibi­lité. Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris (qui est d'ailleurs traité de « Français » dans les quartiers salafisés) a évoqué « le procès injuste et délirant d’antisémiti­sme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France », tandis qu'une trentaine d'imams estimaient que l'idée selon laquelle le Coran contenait des appels au meurtre était d'une « violence inouïe » – cela signifie-t-il qu'elle est fausse ou qu'elle est dangereuse ? Aurait-on mal lu les versets concernés ? Sur ce point, silence radio. L'indignatio­n de ces honorables hommes de foi devant les crimes antisémite­s est parfaiteme­nt sincère. Seulement, il y a toujours un mais, et même plusieurs. Mais les discrimina­tions. Mais les amalgames. Mais il ne faut pas confondre la religion d'amour et de paix avec l'islamisme. Personne ne prétend que tous les musulmans soient antisémite­s, en tout cas, pas les signataire­s de la tribune. Reste que, si l'antisémiti­sme n'a rien à voir avec l'islam, il faudra bien nous expliquer pourquoi tant de juifs quittent les banlieues islamisées comme ils ont quitté il y a plus d'un demi-siècle pratiqueme­nt toutes les terres d'islam. Sans doute une de leurs étranges lubies. • 1. J'ai oublié d'envoyer ma signature, mais le coeur y était. Bravo à Philippe Val pour cette opération.

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